Ecole laïque et fait religieux

Le denier de César (Philippe de Champaigne)

Pourquoi et comment parler des religions dans l’école laïque ?

En parler ou pas ? les arguments pour ou contre.

L’aspect culturel 

Les religions et particulièrement les 3 religions du livre (Judaïsme, Christianisme, Islam) sont des racines essentielles (mais pas les seules) de notre civilisation, de notre histoire et même de nos institutions.

Jusqu’à une époque récente, nous avons tous, croyants ou non, été imprégnés de cette culture religieuse, de ses rites et de ses marqueurs, dont il reste de nombreuses traces dans nos expressions, notre calendrier,

Les générations actuelles ont perdu ces repères religieux et ne comprennent plus la signification des œuvres du patrimoine architectural, artistique, livresque et musical.

« Maitresse, c’est qui la dame avec son bébé ?… Le monsieur avec des ailes dans le dos ? »

Les langues, les cultures, les visions du monde, les modèles politiques et sociaux sont imprégnés de symboles religieux.

Exemple local : la promenade du Saint Sépulcre, le quai des Clarisses, les Cordeliers, …

L’aspect social et collectif

Le « désenchantement du monde » (Max WEBER et Marcel Gauchet). Depuis quelques décennies, les organisations traditionnelles, églises, armées, même les écoles qui structuraient la vie quotidienne, dans les villes comme dans les campagnes ont pratiquement disparues, dans le délitement social provoqué par la montée d’un individualisme consumériste. La dictature économique et la révolution numérique ont construits « l’homo-économicus »

Pour comprendre le terrorisme et les conflits actuels, il faut revenir aux sources aux causes idéologiques et religieuses. Prendre du recul, relativiser. Combattre par une approche rationnelle le « marché de la crédulité », les fakes news, les infox.

Pour : nécessité de comprendre l’autre, dans la diversité des cultures et des religions.

RELIGION : 2 origines

CICERON : relegere : relire, étudier avec soin le rapport à la divinité

TERTULLIEN : religare : créer du lien  de la reliance

Un argument pour cet « enseignement du fait religieux » à l’école est de dire que les religions sont nécessaires pour créer du lien social, pour permettre « le vivre ensemble » (expression valise, creuse et naïve). L’abus de la définition du mot religion (religare : relier, reliance).

Notre société, historiquement basée sur la culture chrétienne est devenue multiculturelle et multi confessionnelle, dans laquelle chacun doit trouver sa place, dans le respect de ses convictions et croyances.

Donc nécessité de connaitre les différentes cultures et religions, par des approches comparatives, à égalité de traitement pour éviter la montée des communautarismes.

MACRON : « nous avons tous besoin de spiritualité »

Contre un enseignement des religions

A-t-on réellement besoin des religions pour faire de nos enfants des adultes capables de comprendre le monde et d’agir en citoyens actifs ? Il faut surtout leur apporter des savoirs et les éduquer aux valeurs sociales, démocratiques et républicaines. Le risque est de mettre les croyances au même niveau que les savoirs

Pour les laïques

cet enseignement est un « cheval de Troie », mené par un cléricalisme masqué, dans le cadre de campagne de rechristianisation ou par le prosélytisme de l’autre religion : l’islam.

Le risque est de faire pénétrer dans l’école les antagonismes entres les religions et de diviser les élèves en communautés. Parler à un élève de « sa religion » peut être perçu comme une attaque personnelle et une remise en cause l’éducation familiale.

Défendre « l’école sanctuaire ». Protéger les élèves des influences idéologiques de toutes origines.

Apprendre dans la sérénité, en laissant ses convictions, ses croyances, ses peurs, ses fantasmes à la porte.

Ne pas implicitement chercher à convaincre qu’avoir une religion est indispensable pour vivre en société (modèle américain)

Et ne jamais oublier les non croyants, les sans religions, …

Pour les républicains, la religion relève de l’éducation et non de l’instruction :

Victor HUGO (lettre du 2 juin1872, dans actes et paroles) : « L’éducation, c’est la famille qui la donne ; l’instruction c’est l’Etat qui la doit. L’enfant veut être élevé par la famille et instruit par la patrie. Le père donne à l’enfant sa foi ou sa philosophie, l’Etat donne à l’enfant l’enseignement positif. De là cette évidence que l’éducation peut être religieuse et que l’instruction doit être laïque. Le domaine de l’éducation, c’est la conscience ; le domaine de l’instruction c’est la science. Plus tard, dans l’homme fait, ces deux lumières se complètent l’une par l’autre. »

Pour les croyants

Le risque du relativisme : toutes les croyances sont égales et se valent. Et que deviennent alors le vécu intérieur, le symbolisme religieux, la spiritualité ? Le risque de « nettoyer » la société de toute expression religieuse, de reléguer toute manifestation religieuse dans l’intimité (en confondant volontairement « intime » et « privé ») et n’en rien voir à l’extérieur, autrement dit on abolit la liberté d’expression. (KINTZLER)

Le fait religieux : une discipline à part ?

Ce n’est qu’un aspect des humanités et de la culture générale. C’est dabord un fait de société, un élément de notre histoire. Il ne faut donc pas le sacraliser ou le mettre au-dessus des autres explications du monde : scientifiques, philosophiques, sociologiques, économiques.

Les notions religieuses peuvent apparaitre dans toutes les disciplines : histoire, littérature, arts, sciences, …

« Aucun sujet n’est à priori exclu du questionnement scientifique ou pédagogique » (Charte laïcité)

Tout peut être abordé : les aspects positifs (message de paix, …, patrimoine) les aspects négatifs (guerres de religions, violences, inquisition, …)

Eviter une approche trop judéo-chrétienne, sortir de l’européocentrisme.

Parler des mélanges des influences, de syncrétisme, de culture hybride

Un enseignement obligatoire

Ne pas accepter la contestation des programmes, des contenus, des exercices (voir charte de la laïcité et VADEMECUM de la laïcité)

Eviter une catho-laïcité (liée à notre imprégnation culturelle) en présentant comme des évidences ce qui ne sont que des coutumes ou des croyances.

Ne pas faire de la Laïcité une contre religion d’Etat. La laïcité est une chance pour les religions et les cultures religieuses enrichissent la culture commune.

Un enseignement laïque

Rappeler sans arrêt ce qu’est la laïcité, dans l’expression des libertés religieuses mais aussi de liberté d’étudier et de critiquer ces mêmes religions.

Comme pour tout objet du savoir, utiliser une méthode rationnelle : vérifier les sources, les dates les auteurs des textes étudiés. Apporter des savoirs, des faits. Bien faire la différence entre savoir et croire, entre histoire et légende. Parler de langages symboliques, sans chercher à leur donner du sens. (ceci est un symbole, chacun l’interprète comme il veut).

Présenter les histoires religieuses des livres fondateurs judéo-chrétiens et islamiques comme les mythologies gréco-romaines.

Les religions ne sont pas gravées dans le marbre. Elles évoluent au cours des époques : guerres, schismes, hérésies,

Un enseignement laïque de la morale

L’éducation morale et civique (EMC)

« L’enseignement moral » a toujours été, pour des raisons historiquement diverses, un enseignement controversé :

  • il l’a été au moment de la laïcisation de l’école primaire, à la fin du XIXe siècle, lorsqu’il s’est agi de le dissocier de l’enseignement religieux
  • il l’a été en 1985 lorsque le ministre de l’époque, J-P Chevènement, a réintroduit à l’école primaire et au collège une éducation civique faisant une large place à la transmission des valeurs ;
  • et plus récemment, en 2012, lorsque le ministre Vincent Peillon, s’est proposé de le relancer à tous les degrés dans le cadre de la refondation de l’école.
  •  

« la morale » n’a jamais été une « matière » comme les autres

  • d’une part, parce qu’elle n’est pas, à proprement une discipline mais qu’elle relève de ces aspects transversaux de la formation qui ont parfois du mal à trouver leur place dans les curricula;
  • d’autre part, parce qu’elle engage, à côté des savoirs, quelque chose qui ne relève pas du savoir et qui pourtant fait bien aussi l’objet d’une éducation : une disposition à agir et une certaine sensibilité.
  • il faut distinguer l’enseignement moral proprement dit de l’instruction civique à laquelle il est lié sans se confondre tout à fait avec elle.
  • l’instruction civique vise avant tout l’enseignement les règles qui permettent la coexistence des libertés dans un espace démocratique et le fonctionnement des institutions qui les garantissent;
  • la morale, elle, va au delà dans la mesure où elle tend à promouvoir auprès de la jeunesse un idéal de conduite et à lui proposer un modèle de personnalité auquel s’identifier.
  • Le philosophe John Rawls nous dit que : – l’instruction civique s’en tient au juste – la morale s’aventure sur le terrain du bien.

Mettre en œuvre un enseignement moral dans les écoles, collèges et lycée c’est accepter l’idée que le système éducatif a vocation à s’aventurer sur le terrain du bien vivre et à promouvoir certaines dispositions personnelles jugées souhaitables par la communauté.

Un problème de légitimité : l’école ne devrait-elle pas s’en tenir à l’instruction, aux savoirs, à ce qu’elle sait le mieux faire, et laisser la morale aux familles comme le pensait Condorcet ?

Comment enseigner, sans tomber dans l’endoctrinement, quelque chose qui ne relève pas seulement du savoir mais d’une disposition à agir ?

La foi laïque de Ferdinand BUISSON : « Nous avons foi dans l’humanité, comme d’autres ont foi dans l’Eglise, … , Au lieu d’affirmer les droits de Dieu, nous affirmons les droits de l’homme »

Faut-il donner du sens au « fait religieux » ?

L’aspect le plus délicat de cet enseignement. A aborder avec prudence, voire pas du tout.

RELIGION : définition sociologique de DURKHEIM

 « Une religion est un système solidaire de croyances et de Pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent. »

“La force religieuse n’est que le sentiment que la collectivité inspire à ses membres, mais projeté hors des consciences qui l’éprouvent, et objectivé. Pour s’objectiver, il se fixe sur un objet qui devient ainsi sacré.”

“Que l’idée de la société s’éteigne dans les esprits individuels, que les croyances, les traditions, les aspirations de la collectivité cessent d’être senties et partagées par les particuliers, et la société mourra.”

Le mot sens :

  • Sensibilité : aspect personnel, ne pas heurter, respecter les convictions de l’autre
  • Interprétation : décrypter, comparer, analyser er donc critiquer
  • Direction : orienter, danger de dériver vers de l’ésotérisme, vers des spiritualités

Cependant, ne pas laisser aux religieux un quelconque monopole du sens.

Sur les questions existentielles fondamentales (la vie, la mort, le monde, l’univers, la nature, l’homme, … )

Les religions instituées n’ont ni exclusivité, ni supériorité sur ces questions.

Les courants philosophiques, les sagesses (orientales ou autres) peuvent apporter des réponses profanes à ces questions et contribuer à élever l’enfant vers l’homme humaniste.

Donc pas de réarment moral, de religion d’Etat ; pas de minimum spirituel garanti ; pas de catéchisme dogmatique.

La liberté des enseignants, des élèves

La déontologie enseignante stipule la mise entre parenthèses des convictions personnelles.

Donner à connaître une réalité ou une doctrine est une chose, promouvoir une norme ou un idéal en est une autre.

Les professeurs sont instruits, au-delà de la simple obligation de réserve, dans l’art de réduire sans aplatir, expliquer sans dévaluer, donner à sentir sans se mettre en avant.

Ils savent pondérer proximité compréhensive et distance critique, empathie et recul, que ce soit vis-à-vis des textes, des civilisations ou des individus.

Une didactique des sciences des religions reste, sans doute à créer ou parfaire.

Les religions ont une histoire, mais ne sont pas que de l’histoire, et moins encore de la statistique. Dire le contexte historique sans la spiritualité qui l’anime, c’est courir le risque de dévitaliser.

Dire, à l’inverse, la sagesse sans le contexte social qui l’a produite, c’est courir le risque de mystifier.

Jacques GAUCHER synthèse et compléments pour la conférence du 4 décembre 2019

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