Un monde parfait. La vie algorithmique

Un monde Parfait

Extraits de l’ouverture de l’ouvrage :

“La vie algorithmique, critique de la raison numérique”

de Eric SADIN    Editions l’Echappée.

        Vous dormez paisiblement au cœur de la nuit. Dans le froid de l’hiver, le système de chauffage autosuffisant de votre chambre se module en fonction des conditions climatiques extérieures et de votre presence, détectée par un capteur ad hoc. La température ambiante s’élève à 12°C, c’est votre couette intelligente qui s’assure ici du relais de votre confort thermique.
Vu la qualité générale de votre sommeil évaluée multicritères + la densité de vos activités à venir, votre assistant numérique décide de vous réveiller plus tôt qu’initialement envisagé, soit maintenant à 5h 57. Aujourd’hui la modalité de réveil choisie correspond à la diffusion à volume feutré de la matinale de la station de radio qui aura décidé de couvrir le plus largement une nouvelle qui vous intéresse particulièrement: la chute brutale du cours du blé à la Bourse de Chicago. Cette informa­ tion recouvre pour vous une portée anxiogène : l’atmosphère lumineuse s’ajuste à faible niveau [17 lux}, associée à une ambiance chromatique  orangée à l’influence rassérénante.
Vous vous dirigez vers les toilettes, urinez ; l’analyse comparative de vos fluides opérée sur les trente derniers jours ne signale aucune aggravation de vos taux de glycémie et d’albumine.
Vous vous lavez le visage  à  grande eau froide, vous considérez dans votre miroir persuasif qui vous annonce d’une voix suave adaptée à l’heure matinale: «Altération infime de la peau: reprendre la consommation  quotidienne  de compléments alimentaires à l’huile de pépins de raisin + resvératrol à double vertu hydratante/ antioxydante ». Vous validez la préconisation par un léger hochement de la tête: la commande du produit manquant s’opère via l’envoi d’une requête auprès de plateformes cosmétiques dédiées dont l’offre la mieux-disante est déjà sélectionnée pour un achat confirmé livrable sous quarante-huit heures. Vous vous pesez sur votre balance qui indique un poids de 744 grammes supérieur à votre normale saisonnière; différentiel consigné par votre  agent multifonction qui encadrera plus sévèrement votre régime alimentaire de la journée, vous aidant à le limiter à un plafond de 2020 calories.
En gagnant votre cuisine, vous sentez qu’un thé Earl Grey a été préparé en concordance avec votre humeur, à la différence du café arabica servi la veille. La composition suggérée du petit déjeuner du jour s’affiche en lettres à diodes électroluminescentes incorporées à la surface de votre réfrigérateur : 2 BISCOTTES + MARGARINE + CONFITURE GROSEILLE+ JUS DE GRENADE + 3 FIGUES SÉCHÉES.

Un premier rayon de soleil apparaît: un bref réflexe de satisfaction est capté par le logiciel d’in terprétation émotionnelle relié à la len tille vidéo amovible / panoscopique de la pièce, information aussitôt transmise sur le serveur de votre psy traitant. Vous vous alimentez simultanément à la lecture de nouvelles qui défilent page après page sur votre tablette d’après vos préférences préenregistrées, l’historique évolutif de vos navigations et votre niveau d’attention mesuré via le sense ur tactile.
Une  annonce  sonore vous  avertit  qu’il est  temps de vous vêtir, vous rejoignez à grands pas votre dressing room.Plusieurs asso­ ciations combinatoires visuelles jugées app ropriées s’exposel!! sur votre mur-pixels : par  formulation vocale  vous  stoppez l’une d’elles que vous suivez des pieds à la tête. Vous enfilez vo tre manteau cachemire, passez la porte d’en trée qui se referme à triple tour dès le seuil franchi par signalement photoélectrique de votre passage. Le dispositif a déjà prévenu l’ascenseur dans lequel vous pénétrez à l’instant vous conduisant de lui-même grâce à sa connaissance intégrée de vos habitudes à vitesse opti­male vers le rez-de-chaussée.
Au bas de l’immeuble, votre MagiCar connectée à votre agenda et à la puce GPS implantée dans l’une de vos molaires se range le long du trottoir. La porte arrière s’ouvre: vous pénétrez à l’intérieur, vous asseyez sur le tatami. La musique zen se met en marche, la voiture s’élance sur l’avenue, vous entamez votre séance de yoga. Durant le trajet, votre coach personnalisé analyse chacun de vos mouvements, vous conseille de vous allonger sur le dos et de vous adonner à l’exercice usuel de respiration. Le système embarqué entrevoit la formation soudaine d’une congestion du trafic sur un point de l’itinéraire projeté, décide de rallonger le parcours et d’emprunter la voie express vers le nord pour ensuite rejoindre l’ouest de la ville par une série de rues étroites mais fluides à cette heure. Parvenu au siège de votre compagnie, vous sor tez du véhicule qui déjà repart vers une place de parking, affectée en temps réel en fonction des disponibilités repérées dans la zone environnante via les capteurs tagués sur les places de stationnement reliés au protocole municipal de régulation des flux urbains
…….

 

LA VIE ALGORITHMIQUE
Critique de la raison numérique 

Eric SADIN
L’échappée, collection “Pour en finir avec”, 288 pages, mars 2015.

4eme de couverture : 
Le mouvement de numérisation à l’œuvre depuis une trentaine d’années gagne aujourd’hui des pans de plus en plus étendus de la réalité via l’extension des capteurs et des objets connectés. Dorénavant, les flux de data témoignent de la quasi-intégralité des phénomènes, s’érigeant comme l’instance primordiale de l’intelligibilité du réel.
Une connaissance sans cesse approfondie s’instaure, orientant en retour les décisions individuelles et collectives au prisme d’algorithmes visant les plus hautes optimisation, fluidification et sécurisation des existences et des sociétés.
 Les technologies informationnelles imposent un mode de rationalité fondé sur la définition chiffrée de toute situation et sur une maîtrise indéfiniment accrue du cours des choses.
Une raison numérique établie sur l’appréhension et l’évaluation en temps réel des faits ordonne désormais les pratiques du commerce, de l’enseignement, de la médecine, les rapports aux autres, à soi-même, à la ville, à l’habitat…
Ce livre examine, en s’appuyant sur une foultitude d’exemples, la quantification et la marchandisation intégrales de la vie qui s’instituent, soutenues par l’industrie du traitement des données, aujourd’hui dotée d’un pouvoir qui perturbe nombre d’acquis démocratiques fondamentaux.
Avec une rare lucidité et une écriture d’une précision clinique, Éric Sadin dévoile les impensés, analyse les processus en cours, dresse une cartographie détaillée des forces à l’œuvre… Observations et réflexions qui dessinent une nouvelle condition humaine, et en appellent à la politisation des enjeux induits par la puissance toujours plus totalisante détenue par les systèmes computationnels.

Mon avis :

Un livre passionnant, à lire absolument, pour mieux comprendre que le filet se ressere sur notre vie privée et met en danger nos libertés fondamentales. Le “1984” de Georges ORWELL arrive en 2017, sous la forme d’un “soft-powwer”

En lien avec notre prochaine conférence

du mercredi 8 novembre 2017

Vie Privée et monde numérique

Jacques GAUCHER

 

 

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