Les habitants, qui viennent de subir un fort épisode de pollution, dénoncent l’inertie des autorités.
LE MONDE | • Par Laetitia Van Eeckhout
La dispersion des particules fines depuis le 5 janvier avec le retour du vent n’y a rien fait. La colère gronde dans l’Arve, en Haute-Savoie. Les 155 000 habitants de cette vallée située entre Annemasse et Chamonix viennent de connaître un épisode sans précédent : trente-cinq jours consécutifs de pic de pollution, avec des concentrations de particules fines dépassant largement 50 microgrammes par mètre cube d’air. La vie dans ce cadre montagnard s’est transformée en cauchemar.
Exaspérés, les habitants, militants associatifs et simples citoyens, ont décidé de s’inviter à tous les vœux des maires de la vallée pour dénoncer l’inertie des pouvoirs publics devant une situation de plus en plus intenable. Ils étaient plusieurs centaines, vendredi 6 janvier, aux vœux de Georges Morand, maire de Sallanches, une des villes du fond de la vallée les plus affectées par la pollution. La veille, la cérémonie de Patrick Kollibay, le maire de Passy, avait été chahutée et a fini par tourner court quand plus de 400 personnes, lasses d’être ignorées, se sont mises à siffler les élus.
« Cela fait des années que les associations tirent la sonnette d’alarme. Les citoyens se rendent compte que cela ne suffit pas. Les gens en ont vraiment assez », accuse Anne Lassman-Trappier, présidente de l’association Environn’MontBlanc. « La situation devient catastrophique », lâche Isabelle Patient, une mère de famille, qui montre son second fils dont on voit à peine la frimousse, cagoule remontée sur le nez : « A chaque pic, ses crises d’asthme reprennent de plus belle. Cette fois, je l’ai gardé à la maison et j’ai fini par partir quatre jours avec lui dans le Sud pour lui faire respirer l’air pur. » Elle s’était installée dans la vallée en 2001 à Sallanches avec son mari asthmatique, pour, dit-elle « bénéficier du bon air de la montagne »…
« On interdit aux enfants de prendre l’air »
Pendant toutes les vacances de Noël, Alicia, animatrice à Passy, a dû confiner à l’intérieur de son centre aéré les enfants qu’elle accueillait. « On leur interdit de prendre l’air et on laisse les industries continuer à polluer », s’insurge t-elle. Sur Internet aussi, la colère bouillonne. Une vidéo, tournée par un père de famille à l’école Saint-Joseph, à Sallanches, a été tweetée et retweetée : une mise en scène glaçante en noir et blanc, montrant des dizaines d’enfants, masque sur la bouche et regard figé.
Cette montée de l’exaspération ne surprend pas Cécile Budry, médecin, qui voit de plus en plus de patients souffrir de maux inhabituels. « Comme tout autre médecin ailleurs en France, j’enregistre en hiver une recrudescence des syndromes respiratoires. Mais je constate un grand nombre de toux sèches, de rhinites, de gorges irritées qui perdurent anormalement un mois, deux mois et pour lesquelles aucun traitement ne marche », s’inquiète la praticienne.
Les maires digèrent difficilement la défiance. « Oui, la pollution existe, mais elle n’est pas responsable de tout. Arrêtons de faire peur aux gens et de ternir l’image de la région. Nous, élus, nous ne restons pas sans rien faire », se défend Georges Morand, mettant en avant les mesures prises par les collectivités : aide au remplacement des appareils de chauffage au bois anciens, renouvellement des véhicules communaux avec des véhicules propres, création de parkings de covoiturage…
Mais les ambitions restent très inégales selon les collectivités, parcellaires et pas toujours cohérentes d’un bout à l’autre de la vallée. Pourquoi la gratuité du train ne s’applique-t-elle qu’au tronçon Chamonix-Servoz, et pas jusqu’à Sallanches, déplorent notamment les habitants du fond de la vallée ? Qui regrettent de ne pas bénéficier d’un solide réseau de transports en commun.
Encourager le transport de fret par le rail
Eric Fournier, le maire de Chamonix, met en avant un plan de protection de l’air, avec notamment la gratuité et la fréquence des transports en commun dans l’agglomération, mais reconnaît ses limites : « Notre forte implication locale ne suffit pas : la mobilisation de tous est nécessaire, à commencer par celle de l’Etat. »
L’ensemble des élus comme les militants associatifs appellent à l’élaboration d’un second plan de protection de l’atmosphère (PPA) ambitieux, pour conforter les mesures prises localement, et lutter simultanément contre les trois principales sources de pollution : chauffage (65 % des émissions de particules fines), industrie (15 % des PM10, les particules de diamètre inférieure à 10 micromètres) et transports (70 % des émissions de dioxyde d’azote).
Le premier PPA élaboré en 2012, qui arrive bientôt à échéance, a obtenu quelques résultats. Notamment l’arrêt de tout écobuage (feu de feuilles mortes et branchages). Le fonds Air Bois, qui accorde une prime de 1 000 euros pour le remplacement d’un appareil de chauffage au bois ancien (avant 2002), d’un foyer ouvert ou d’un vieux poêle, se déploie certes à raison de 400 à 500 remplacements par an. Mais ce n’est pas suffisant : la vallée compte 12 000 chaudières au bois défectueuses. « Il faut accélérer le rythme de renouvellement des foyers ouverts en aidant davantage les ménages, tous ne pouvant pas se permettre une telle dépense », soutient Josée Krempp, du réseau Air 74.
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Pour les élus comme pour les citoyens, l’Etat doit aussi encourager les transports des marchandises par le rail. Ils appellent à la fin, d’ici au 1er octobre, de la circulation des poids lourds de normes Euro 3 et Euro 4 dans le tunnel du Mont-Blanc. Et, en cas de dépassement du seuil d’alerte, à une suspension totale du trafic de poids lourds en transit, et non plus des seuls Euro 3.
Jeudi, la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, a proposé de doubler la prime aux particuliers pour convertir leur appareil de chauffage au bois et de créer une zone de circulation restreinte dans toute la vallée. Un premier pas de l’Etat apprécié par les intéressés, en attendant mieux.
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