Pierre LARROUTUROU
Conférence à Paris le 9 avril 2016
« Chômage, Précarité, Europe »
Ouvrage : « Non-assistance à peuple en danger » ; chômage, précarité, logement…La crise s’aggrave, ils ne font rien. (Fayard 2015, 178p, 12€)
Résumé à partir de notes prises par Jacques GAUCHER, lors de cette conférence.
La République n’est pas un acquis permanent, elle est en danger, maintenir son existence démocratique est un combat permanent.
Que représentent les mots « Liberté, Egalité, Fraternité » face à la pauvreté ? Face aux personnes qui recherchent leur nourriture dans les poubelles ?
Même Christine LAGARDE (FMI) le dit : l’économie déraille, nous sommes à la veille d’une nouvelle crise venant du dérapage de l’économie chinoise. Pourtant Michel SAPIN affirme qu’il n’y a pas de crise et que « cela va mieux »
Rappelons-nous Jean JAURES qui disait : « La République sera sociale ou ne sera pas ». Aujourd’hui, par leur discours et leur communication dite pédagogique, nos politiques affichent un mépris pour l’intelligence des citoyens et créent une souffrance anthropologique. Il ne s’agit pas de faire du romantisme dépressif, entre nous, dans des colloques, mais d’agir pour faire vivre la République, ne pas baisser les bras, de refaire le « Serment du jeu de Paume ».
Pierre LARROUTUROU interpelle les politiques et leur propose de solutions concrètes et applicables. Il se dit effaré de l’inertie et de la langue de bois de nos dirigeants. D’où le titre de son ouvrage : « Non-assistance à peuple en danger. Chômage, précarité, logement…La crise s’aggrave, ils ne font rien. »
Le chômage, qui augmente régulièrement, ronge la République et risque de la faire disparaitre. Pôle Emploi compte plus de 6 millions d’inscrits. Chaque mois, entre les entrants et les sortants le solde augmente de 17 000 nouveaux chômeurs. Plus de 200 000 personnes sortent chaque mois et n’ont pas nécessairement trouvé du travail.
Le chômage, la précarité, augmentent les problèmes de vie familiale, de santé et augmente même le nombre de décès. La dignité humaine est remise en cause par cette maladie sociale.
La cause essentielle du chômage est connue : la richesse produite est de plus en plus redistribuée au capital et de moins en moins aux salariés (voir PIKETTI). La part des salaires dans le PIB est passée de 67%, il y a 30 ans, à 57% aujourd’hui. Il n’y a pas d’argent pour les services publics ni pour la recherche et le développement, mais 150% du PIB partent vers les marchés financiers. Ce n’est pas une crise, c’est un hold-up. C’est fondamentalement le chômage qui est la cause de la crise financière et non l’inverse.
En Europe, le chômage semble plus faible, mais la précarité et la pauvreté sont devenues la règle. En Allemagne, le chômage est plus faible, mais 1/3 des salariés survivent avec des « petits boulots ».
La crise financière est pire qu’en 2008, la crise sociale pire qu’en 1930 et en plus, pas de chance, la crise climatique annonce de nouvelles catastrophes.
Que faut-il faire ? Il est urgent d’inventer un nouveau modèle économique
Il ne faut plus miser sur la croissance (qui est passée de 5,6% en 1960 à 0,8% en 2016). La croissance ne reviendra pas.
Au Japon, cité comme modèle économique dans les années 70, tout a été fait pour relancer la croissance, qui est cependant passée de 4,5% à 0,7%. Malgré une forte politique monétaire, un pari sur la recherche et le développement, ce pays est retombé en récession.
La croissance n’est plus la solution pour créer de l’emploi. Les USA ont certes 5% de chômeurs, mais seulement 65% des adultes sont en activité. Comment vivent les autres ?
La dette des Etats est une bombe à retardement.
La prochaine crise financière viendra de la Chine, et particulièrement suite à une bulle spéculative dans l’immobilier. Les dirigeants chinois ne contrôlent plus la situation. Par contre la remontée des nationalismes risquent de ramener une revanche militaire de la Chine sur le Japon et donc un risque élevé de guerre dans le pacifique.
La paix est menacée par la crise économique. Il ne peut y avoir de paix durable sans justice sociale.
Revenons aux idées de ROOSEVELT et à la déclaration de Philadelphie de l’Organisation mondiale du travail (1944) :
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« Le travail n’est pas une marchandise.
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La liberté d’expression et d’association est une condition indispensable d’un progrès soutenu.
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La pauvreté, où qu’elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous;
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La lutte contre le besoin doit être menée avec une inlassable énergie au sein de chaque nation et par un effort international continu et concerté dans lequel les représentants des travailleurs et des employeurs, coopérant sur un pied d’égalité avec ceux des gouvernements, participent à de libres discussions et à des décisions de caractère démocratique en vue de promouvoir le bien commun. »
Pendant 30 ans la dette américaine reste constante et faible, puis à partir de REAGAN, cette dette explose. Quand les salaires diminuent, la dette augmente. La stabilité économique est directement liée à la justice sociale. Nous devons mener une bataille culturelle contre la pensée unique du modèle néolibéral (il n’y as pas d’autres solutions que…)
Pierre LARROUTUROU propose 5 solutions d’urgence.
1) Protéger les salaires et éviter les licenciements. Au Canada la baisse du temps de travail et des salaires est compensée par l’Etat, jusqu’à 95% du salaire de départ. Donc des travailleurs qui travaillent moins, ce qui crée des emplois et donc moins de chômage. En Allemagne : des solutions existent: travailler moins pour licencier moins.
2) Séparer les banques de dépôt et les banques d’affaire, ce qui a été fait dans d’autres pays, même en Angleterre.
3) Protéger les PME contre les clients qui ne payent pas et l’URSAFF qui n’accorde pas de délais. La Caisse des dépôts et consignations pourrait offrir des garanties à ces PME.
4) Relancer l’activité, en particulier par la construction de logements. Il manque 80 000 logements en France. Aux Pays Bas 1 000 000 de logements ont été construit avec l’argent des fonds de retraite, par des sociétés coopératives. En France le fonds de réserve des retraites et des assurances est 37 milliards d’euros. Cet argent pourrait servir à financer du logement comme cela a déjà été fait entre les deux guerres.
5) Investir pour lutter contre le réchauffement climatique. La BCE prévoit de créer 1 500 milliards d’euros pour les banques qui risquent de l’utiliser pour la spéculation et non pour l’investissement et la création de richesses. Pourquoi ne pas utiliser ces1500 milliards pour investir dans les économies d’énergie, la transition énergétique, le développement durable, … Donc lancer un plan Marshall pour le climat.
Il propose aussi 4 grandes idées pour créer 2 millions d’emplois
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Dette: les Etats ne doivent plus emprunter aux banques privées, mais à la BCE, à des taux très faibles.
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Lutter contre le dumping fiscal. Aux USA le taux de l’impôt fédéral sur les bénéfices des sociétés est de 40%, en France il est de 25%. Il est différent dans chaque pays d’Europe.
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Négocier un véritable traité pour une Europe sociale. Lutter contre les paradis fiscaux. Lutter contre les délocalisations des entreprises et refuser le TAFTA.
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Temps de travail : pour une semaine de 4 jours qui permettrait de réduire le chômage. La richesse produite a triplée en 40 ans. Durant cette période, les gains de productivité ont explosé. On produit beaucoup plus avec moins de travail. La répartition actuelle du temps de travail est absurde et coûteuse : 39,5h/semaine, en moyenne, pour les salariés et 0h/semaine pour les chômeurs. L’argent de l’UNEDIC pourrait servir à payer tous les salariés, sur 4 jours/semaine, avec le même salaire. Donc moins de fatigue, plus de temps libre pour des activités sociales et finalement une meilleure productivité pour les entreprises. Certaines commencent à mettre en œuvre cette semaine de 4 jours. Et cela marche, c’est rentable !
Réponses aux questions de l’auditoire.
Nous assistons à une crise de la démocratie. Or il ne peut y avoir de justice sociale sans démocratie.
Tout ce qui est proposé est chiffré et semble faisable. Pourquoi les politiques ne le font pas ? Parce que nous sommes dans un discours fataliste ou l’économie néolibérale est présenté comme la seule solution possible, comme un tunnel sans autre issue. Les politiques n’osent pas s’opposer à cette fatalité.
La réponse possible est dans une mobilisation, une insurrection citoyenne, pour une République nouvelle, comme l’entendait Pierre MENES-France. Le rôle de l’homme politique n’est pas de plaire, mais d’agir, cela demande non de la compétence, mais du courage.
Tout le monde peut comprendre que l’économie n’est pas une science et que ce sont les choix politiques qui permettent les dérapages de la finance et du néolibéralisme. Nous n’avons pas à choisir entre accepter la barbarie ou renoncer à la citoyenneté par la déshumanisation économique (Hannah ARENDT). Comme le disait EINSTEIN, il ne faut pas compter sur ceux qui créent les problèmes pour les résoudre. Chacun de nous peut changer le monde. Le pays est mûr, mais il faut vouloir prendre le pouvoir. Il n’y a aucune fatalité à l’impuissance politique actuelle.
Cette conférence était passionnante. Pierre LARROUTUROU défend des idées originales depuis plusieurs années, dans les cercles ROOSEVELT puis dans “NOUVELLES DONNES” (voir sites web)
Son ouvrage, court, illustré de nombreux exemples concrets, est à lire. Le résumé de cette conférence n’en donne qu’un faible aperçu.
A vous de donner votre avis.
Et proposez-nous aussi des pistes de réflexion pour nos articles et nos prochaines rencontres.
Jacques GAUCHER
A l’attention de Pierre Larrouturou
Vous venez d’être nommé membre du haut conseil pour le climat. Vous aurez donc l’oreille du pouvoir actuel. Puis je vous communiquer ma réflexion sur la mobilité et les territoires ?
Mobilité et territoires
Penchons nous sur le problème de fond des gens qui vont travailler un peu trop loin de chez eux.
Que ces gens prennent les transports en commun ou bien leur véhicule personnel, leur temps de trajet est loin d’être négligeable, en moyenne de l’ordre d’une heure.
Une heure le matin pour se rendre au travail et une heure le soir pour rentrer chez soi, c’est énormément de temps et d’argent perdu. C’est aussi beaucoup de pollution induite même en transports en commun.
Que font les hommes politiques pour remédier à cet inconvénient ? Ils essaient de réduire le temps de trajet en organisant des liaisons plus nombreuses et plus rapides. Dernier projet en date : le grand Paris. Mais le résultat n’est pas ou ne sera pas au rendez vous.
Pourquoi ?
– D’abord parce que la rapidité oblige mécaniquement à diminuer le nombre des arrêts ; ce qui diminue du même coup l’intérêt de la liaison pour ceux qui ne sont plus desservis par les arrêts manquants. Exemples TGV entre grandes villes seulement. RER en région parisienne.
Certes, le couplage avec des transports plus lents (TER, bus, tramway, métro, …) permet de palier aux arrêts manquants. Mais la rapidité de desserte et le confort en prennent un coup.
– Ensuite, parce que les gens ne sont pas raisonnables ; que ce soient les employés ou les employeurs ; chacun profite des liaisons plus rapides pour allonger la distance domicile travail ou la distance lieu de travail à client. Par exemple c’est grâce aux liaisons rapides que les grandes entreprises basées en région parisienne peuvent envoyer leurs cadres à l’autre bout du pays ou même loin dans le monde.
– Il ne faut pas oublier que les infrastructures nécessaires aux transports rapides sont extrêmement énergivores et polluantes tant lors de leur création que lors de leur utilisation.
– Enfin parce que l’abandon de l’emploi et des petites structures locales (école, mairie, bureau de poste, petit commerce, …) fait perdre de la vitalité et de la cohésion sociale de ces territoires.
Constat : augmenter la rapidité des moyens de transport mène à un échec grave.
Mais alors que peut on bien faire ?
La Suisse et bien d’autres petits pays d’Europe montrent la voie à suivre. Il faut que la population soit répartie le plus uniformément possible sur le territoire. Il faut que les gens trouvent des emplois à proximité de chez eux, qu’ils ne soient pas obligés de s’éloigner loin pour travailler.
(Je suis allé plusieurs fois en Suisse pour mon travail ou pour retrouver des amis. J’ai pu constater que même les grandes villes suisses restent à taille humaine, que le moindre recoin du pays est habité, que les transports y sont plus lents … et que ça ne gêne personne ! Par exemple, le train Paris Lausanne circule à 60 km par heure dès qu’on arrive en Suisse et les arrêts sont relativement longs et fréquents. Ce qui incite davantage les gens à se parler !)
Si chacun de nous trouve emplois, petits commerces locaux, écoles, loisirs à proximité de son domicile, son besoin de mobilité à moyenne ou grande distance diminue drastiquement. On réalise ainsi des territoires multi fonctionnels et on évite les grandes zones inhabitées ainsi que les agglomérations surpeuplées.
Cela signifie également qu’il faille batailler contre les grandes surfaces commerciales, les zones spécialisées (pavillonnaires, de bureaux comme La Défense, industrielles, de recherche et universitaires comme le futur plateau de Saclay, agricoles intensives, d’élevage industriel, etc …). En effet ces zones spécialisées forcément éloignées les unes des autres, accroissent considérablement les besoins de mobilité. De plus les conditions de vie des bêtes ou des gens ne sont plus naturelles.
Cela signifie sans doute qu’il ne faut pas craindre de rendre les transports en commun et les transports individuels plus lents puisque cette lenteur, toute relative, devrait inciter à rendre chaque territoire le plus multi fonctionnel possible.
La taxation des hydrocarbures des hydrocarbures au profit de la mise en œuvre de la transition énergétique est une bonne mesure mais elle ne suffit pas.
La multi fonctionnalité des territoires qui doit être recherchée en priorité pour réussir la transition écologique et énergétique.
Comment mettre en œuvre la multi fonctionnalité des territoires ?
– D’abord en gelant tous les projets de grandes surfaces ou de pôles spécialisés.
– Ensuite en « déspécialisant » les zones qui le sont. Par exemple, en réquisitionnant au moins une maison de chaque lotissement pour en faire une petite entreprise locale. Ou encore en transformant un minimum de bureaux en habitations. Ou encore en réduisant une grande surface commerciale ; cette surface récupérée devenant un petit immeuble d’habitation.
– Ou encore repeupler les campagnes par l’abandon des cultures intensives grandes utilisatrices de produits nuisibles pour l’environnement et de technologies énergivores. Donner plus d’importance aux cultures maraîchères, aux petites fermes productrices de produits finis (beurre, œufs, fromages, volailles, …). Favoriser les circuits les plus courts possibles entre le producteur et le consommateur.
– On pourrait également demander aux architectes de concevoir un habitat à mi chemin entre l’appartement et la maison de manière à éviter le dilemme entre la construction à plat et la construction hors sol et en hauteur.
– On pourrait inciter et accompagner des personnes âgées résidant dans des habitations devenues trop grandes pour elles seules, dans l’accueil d’un jeune étudiant ou d’un jeune travailleur plutôt que de construire un immeuble universitaire spécial. On y gagnerait aussi en relations de qualité inter générationnelles.
– Enfin, on pourrait faire accepter la réduction de vitesse des transports ; ici, il ne s’agit pas d’interdire systématiquement mais de taxer fortement tous les moyens de transport les plus rapides. Bien entendu, l’utilisation de cette taxe serait attribuée exclusivement à la transition écologique.
En espérant que vous entendrez bien mes arguments.
Cordialement
Christian Rozé
29 rue de la grande brière
78180 Montigny le bretonneux
Mon site perso : http://www.christian-roze.fr