Marcel GAUCHET Comprendre le malheur français (Les essais Stock)
Avec Éric CONAN (journaliste à « Marianne ») et François AZOUVI (directeur honoraire de recherche au CNRS). Marcel GAUCHET est directeur d’études à l’EHESS et rédacteur en chef de la revue « Le Débat »
Analyse résumée de cet ouvrage. Jacques GAUCHER (28 mai 2016)
La France bat des records de pessimisme. L’auteur tente d’expliquer la « fracture » entre les élites politiques et le peuple, ainsi que ce pessimiste latent qui bloque l’avenir du pays. Une analyse originale et pertinente. Le résumé est un peu long, mais l’ouvrage est riche et dense.
La France et son histoire
Dans un premier temps l’auteur rappelle ce que la mémoire collective retient de l’âge d’or de la prépondérance française (le XVIIème siècle, celui de Louis XIV). Cependant dès le XVIIIème siècle c’est l’Angleterre qui trouve le secret de la création de richesse dans le commerce, la banque et l’industrie, donc le primat de l’économie. Marcel GAUCHET rappelle ensuite l’importance de la Révolution dans la rupture mais aussi la continuité d’un Etat Nation fort. Cette Révolution, qui finit par instaurer la République, porte aussi des valeurs qui se veulent universelles. C’est alors la revanche de l’organisation rationnelle de l’Etat français sur l’empirisme britannique. Un sursaut national qui redonne à notre pays la prédominance des idées politiques. La France est fille de la Révolution.
Au début du XXème siècle, la France est alors la seule République (avec la Suisse). Ce modèle républicain est complètement assimilé par tous les français, jusqu’en 1940.
La France gaullienne
La libération apporte un sursaut de fierté nationale, c’est l’apogée des « trente glorieuses ». La politique dirige, encadre l’économie. Le gaullisme est une monarchie élective, avec un lien direct entre le président et le peuple. La rupture de Mai 68 apparait comme une révolution atypique, plus morale que politique, avec l’émergence de l’individualisme et l’évolution vers le libéralisme. Le libertaire de 68 devient un néolibéral trente ans après. Commence alors le déclin de l’Etat Nation, le relativisme des cultures, des idées, le « droit de l’hommisme».
La France changée par Mitterrand
Après la crise des années 70, on passe du rêve de 1981 à la trahison des idéaux de la gauche en 1983. La gauche abandonne son histoire et se converti à la culture américaine et à l’économie de marché.
La réussite personnelle se conjugue avec les bons sentiments, la tolérance, l’ouverture au monde, aux autres cultures, au multiculturalisme. C’est le règne des « bobos ».
Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande déstructurent l’histoire républicaine et amènent un déboussolement, une « fracture sociale », un décrochage de la population. La gauche, comme la droite, soumises au néolibéralisme, se condamnent à l’impuissance politique. Les échecs successifs de ces quatre présidents sont analysés avec férocité mais aussi pertinence et lucidité.
Le piège européen
« L’Europe est une machine folle qui tourne à vide ».
Le marché commun cache un déficit démocratique et oublie de définir une identité européenne. Qui a voulu L’élargissement de l’Europe ? On constate qu’il n’y a pas de pilote dans l’avion, mais une bureaucratie anonyme, opaque, clandestine, anti démocratique. La commission européenne est gangrénée par les lobbys des multinationales. Le marché commun, c’est le négoce qui tient lieu de politique. L’échec de la construction d’une défense européenne a signé l’abandon d’une souveraineté européenne. Les USA, via l’OTAN, assurent notre sécurité.
L’acte unique, le marché unique, une banque centrale indépendante des Etats, les dérégulations, la multiplication des normes pour favoriser le libre-échange sont autant d’abandons de l’idée d’une Europe comme puissance politique. Le pouvoir judiciaire (cour européenne de justice) comble le vide du pouvoir politique.
Nous assistons à une fuite en avant, avec un marché qui délite la puissance publique et les lois au profit des contrats commerciaux. La politique se résume alors à une utopie post nationale et un monde néolibéral ouverts à tous les vents de la mondialisation.
Le modèle français
Le modèle français de gestion de la vie collective, c’est l’Etat Nation, symbolisé par la République. C’est un Etat fort, centralisé. C’est le primat du jacobinisme en politique et du colbertisme en économie. Le principe d’égalité impose des contraintes à la liberté individuelle.
Ce modèle se veut universel. La Révolution proclame les droits de l’homme et la notion de citoyen, qui participe à la « res publica », la République. La souveraineté est soit impersonnelle (IIIème et IVème république) soit fortement personnalisée (bonapartisme, gaullisme).
Une élite de hauts fonctionnaires ayant un sens très fort du service public et le l’Etat assure le fonctionnement des institutions. L’évolution de cette élite vers une nomenklatura carriériste et affairiste participe largement à la « fracture sociale ».
L’évolution du citoyen vers l’individu avec plus de droits et moins de devoirs déconstruit le lien social et le sentiment d’appartenance à ce modèle français.
La décentralisation qui devait rapprocher le pouvoir du peuple a surtout crée de nouvelle « baronnies » locales qui représentent une forme de retour à l’ancien régime et casse le côté « indivisible de la République.
L’abandon de ce modèle crée une forte frustration, un blocage, une source de révolte.
Pour le pouvoir, le pays est ingouvernable. Il faut ruser, mentir, tricher, « communiquer » pour faire passer une réforme. Pour le peuple, la démocratie a reculée, et les élites ne sont plus crédibles.
La laïcité est réduite à une religion parmi d’autres et ne répond plus aux attentes des citoyens croyants comme non croyants. L’importance mondiale du fait religieux est largement ignoré par nos politiques qui sous-estiment ou dramatisent la question. Le diagnostic n’est pas fait sur l’importance de l’islam et son lien avec le terrorisme.
Les politiques ont abandonné l’école de la république. Ils sont les premiers à contourner la carte scolaire pour leurs enfants. On ne fait plus le lien entre l’école, la culture et le brassage social, l’égalité des chances pour tous, la méritocratie.
Le système politique et les élites
Une nomenklatura parisienne rassemble les politiques, les hauts fonctionnaires, le monde médiatique et culturel, le monde de l’entreprise et de la finance dans une même connivence avec les mêmes objectifs carriéristes et affairistes. Le prince règne par les nominations des uns et des autres aux postes clés du pouvoir. Cette élite a largement participé à la « fracture morale » entre le peuple et le pouvoir. Les politiques ont démissionné face aux « communicants».
Or les français croient en la politique pour transformer la société. Ils sont en attente de débat mais aussi de choix, de décisions politiques. Mais la dépolitisation générale, le culte de l’individualisme, de la recherche du confort créent, pour le citoyen, un sentiment de dépossession.
L’Europe technocratique a pratiquement dépossédée le citoyen de son pouvoir politique. Le refus d’acter le référendum de 2005 a marqué, par son mépris du suffrage universel, une rupture entre le peuple citoyen et les politiques. Les citoyens ne voulaient pas de cette Europe-là.
La droite est passée de la foi dans le « sabre et du goupillon » à une croyance aveugle dans l’entreprise et le marché. La gauche est parvenue à un complet effondrement idéologique. Plus de programme, que des ambitions personnelles. Les écologistes sont les seuls à avoir un programme mais incohérent et inadapté. Il ne peut y avoir de politique écologique sans contrainte collective.
Dans l’entreprise le pouvoir est passé du patron paternaliste au manager puis à l’actionnaire. L’entreprise devient non pérenne, jetable en fonction des résultats financiers.
La famille est passée d’un modèle patriarcal à diverses formes dominées par l’individualisme.
L’identité nationale reste la forme résiduelle du sentiment d’appartenance à une collectivité.
Conclusion : nous sommes toujours dans l’idéologie
L’idéologie dominante est celle du néolibéralisme : tout doit être fait pour libérer l’économie de la régulation par le politique.
Or une idéologie devrait être un discours sur le mouvement de l’histoire afin de tirer des conclusions politiques pour l’avenir. L’avenir, par définition, ne peut être qu’objet de croyance.
Le conservateur croit que l’avenir doit ressembler au passé. Le progressiste croit à un avenir différent, meilleur, porteur d’espoir.
Le néolibéralisme n’est pas le libéralisme. Le libéralisme c’est la liberté, plus l’Etat, plus le bien collectif. Le néolibéralisme c’est la mort des Etats Nation, le refus de toute contrainte, de toute limite au libre marché (exemple : le traite transatlantique TAFTA).
La société de consommation est un facteur de dissolution des sociétés traditionnelles.
Nous assistons à la mort des institutions, outils nécessaires pour construire une vie collective neutre et égale pour tous. La démocratie implique des obligations et des contraintes. Or nous souhaitons garder l’Etat providence sans en payer les coûts. Nous ne rêvons plus à des utopies politiques. Les utopies sont devenues techniques : l’homme augmenté, les robots, le post humain.
On ne change une société que sur la base de ce qu’elle est en fonction de ce qu’elle a été.
Les français ne veulent pas de « l’économisme » ils veulent la primauté du politique, pour répondre aux questions majeures de l’époque : l’écologie, l’immigration, le capitalisme financier, la confrontation des cultures, la démocratie,… D’où le rejet de toute réforme dite « modernisatrice » qui crée un climat de « guerre de position » entre l’élite et le peuple, avec son immobilisme agité et ses blocages.
Pour conclure : trois réformes préalables à toute réforme :
- Réajuster le rapport à l’Europe
- Réformer par le haut ; pour une « nuit du 4 « de la nomenklatura
- Refaire de la politique.
Un livre qui prend de la hauteur par rapport aux analyses superficielles des médias. A lire pour comprendre les blocages entre les citoyens et les élites ainsi que la vacuité de l’agitation médiatique des politiques.
Jacques GAUCHER 4 avril 2016
J’ai lu ce livre et je l’ai relu .Cet ouvrage est remarquable, Marcel GAUCHET analyse avec beaucoup d’intelligence et de lucidité notre histoire . Les questions qui lui sont posées sont très pertinentes.Cette lecture m’a beaucoup aidé pour comprendre la situation actuelle.
J’ai lu ce livre et je l’ai relu .Cet ouvrage est remarquable, Marcel GAUCHET analyse avec beaucoup d’intelligence et de lucidité notre histoire . Les questions qui lui sont posées sont très pertinentes.Cette lecture m’a beaucoup aidé pour comprendre la situation actuelle.
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