Un article de Jacques GAUCHER (26 janvier 2016)
François Anatole THIBAULT, dit Anatole FRANCE, est né en 1844, mort à 80 ans en 1924. Il a reçu le Prix Nobel de littérature en 1921 pour l’ensemble de son œuvre.
Un auteur bien oublié aujourd’hui, mais qui mérite d’être redécouvert.
Il passe une partie de son enfance dans la librairie de son père : « La librairie de France » quai Malaquais, spécialisée dans la Révolution et l’Empire.
C’est un érudit, amoureux des humanités classiques, de l’histoire, et particulièrement de la Révolution française.
Son style, très classique fait penser à Voltaire, avec une ironie amusée, parfois douce et aimable, parfois noire et cruelle. Alliance de scepticisme et d’idéalisme, son écriture mélange des aspects traditionnels à un gout pour les idées subversives, la passion pour la clarté, l’habileté à exprimer avec légèreté des pensées sérieuses et une sensualité exempte de grossièreté, bref un « art de bien dire ».
C’est surtout un merveilleux conteur, qui pastiche les légendes médiévales, les vies des saints, les récits fantastiques et l’histoire de France. Mais c’est aussi un aussi un redoutable satiriste de la vie politique, ou les secrets d’alcôve font et défont les gouvernements.
(Dans « l’histoire contemporaine », qui évoque l’affaire Dreyfus).
Très anticlérical, il aime se moquer des moines, des prêtres et de toute la cléricature qui spécule sur la naïveté des croyants pour s’enrichir et asseoir son pouvoir. Il est libre penseur et feint d’admettre les dogmes comme des postulats pour en exposer toutes les conséquences de leur absurdité.
Rationaliste, libre penseur, passionné d’histoire et de sciences. Il est un admirateur d’Ernest RENAN.
Un ouvrage de cet auteur en lien avec notre débat sur « Révolution et République » : « Les Dieux ont soif » publié en 1912. (En poche, Folio classique)
Résumé d’un article de Jean-François Chanet, paru dans « Contreligne » en septembre 2012
« Les Dieux ont soif » a toutes les apparences d’un roman historique. L’action commence en avril 1793 et s’achève en nivôse an III, c’est-à-dire fin décembre 1794 ou début janvier 1795, au moment où l’on s’apprête à retirer du Panthéon les cendres de Marat qu’on y avait portées en septembre précédent. Les personnages fictifs croisent ou aperçoivent des personnages réels, Robespierre ou Fouquier-Tinville.
Les historiens peuvent bien sûr dresser la liste des erreurs factuelles. Mais on est sous le charme de ce récit, dû à l’habileté de cet écrivain à peindre le vieux Paris, les maisons de la place Dauphine, devenue place de Thionville, où voisinent bourgeois et artisans. Ce plaisir, en l’occurrence, doit autant à la magie du style qu’au sens politique et moral de ce qui est raconté.
Cette prose incomparable, admirée par Proust, est-elle datée ? Sans doute, mais on veut croire que sa fluidité, sa transparence peuvent encore plaire aujourd’hui. Ce qui doit d’abord attirer l’attention sur ce livre, c’est la manière dont il montre à quelles extrémités des êtres purs sont conduits à des actions meurtrière, dans la volonté d’ouvrir, par la terreur, le règne de la vertu.” Les Dieux ont soif” : ce titre annonce le règne des « buveurs de sang ».
Or le personnage principal : Evariste Gamelin, est un bon fils, capable de partager sa ration de pain entre sa vieille mère et une femme rencontrée au coin de la rue, son nourrisson dans les bras. Bien que sans le sou, Evariste est peintre, élève de David, membre de la section du Pont-Neuf, précédemment section Henri IV. Il a vingt ans, « un visage grave et charmant, une beauté à la fois austère et féminine ». C’est en le voyant dans son atelier que Louise de Rochemaure, fille d’un lieutenant des chasses du roi, jeune veuve d’un procureur, plus sensible au charme du peintre qu’à la valeur de son ouvrage, use d’une influence non encore compromise pour le faire nommer juré au Tribunal révolutionnaire.
Dès lors, sa jeunesse et sa sincérité font de lui le serviteur zélé d’une justice d’autant plus expéditive que la défense de la République menacée accroît toujours le nombre et la variété des suspects. Pas de distinction de classe ni de sexe dans des charrettes où s’entassent, côte à côte, le ci-devant Brotteaux des Ilettes, épicurien sceptique qui gagne son pain en fabriquant des pantins et a toujours sur lui, dans la poche de sa redingote puce, une vieille édition de Lucrèce ; le père Longuemare, ancien membre de l’ordre des Barnabites, que Brotteaux, quoi-qu’athée, a abrité chez lui, et Athénaïs, fille de joie, qu’il a également prise sous sa protection, parce qu’il est (intellectuellement) voluptueux.
Chez Evariste Gamelin, toutefois, la déshumanisation a une limite, celle du lit d’Élodie, sa maîtresse. Il y est d’autant plus assidu qu’il ne peut guère trouver le sommeil que dans ses bras. Les Dieux ont soif suggère ce que la sensualité peut avoir d’insatiable sans qu’il soit besoin d’y mêler la passion. Voilà ce qui sans doute, dans ce roman, est politiquement le plus incorrect. Il combine ainsi l’analyse d’une logique politique meurtrière et la recherche la plus opportuniste du plaisir. Il fallait à Anatole France une audace où notre temps, si changé par rapport au sien, risque de ne voir que de la ringardise. N’oublions pas que cette audace était autant inacceptable par la gauche que par la droite de l’époque.
La gauche est la famille politique d’Anatole France, depuis l’affaire Dreyfus. Il a loyalement servi le bloc des gauches, mais pas au point de reprendre à son compte, à propos de la Révolution, ce mot de « La Révolution est un bloc » que Clemenceau lui avait appliqué vingt ans avant que paraisse “Les Dieux ont soif”.
Anatole France communique à ses lecteurs, par son ironie redoutable, l’impression d’horreur qui domine devant « le couteau ensanglanté ».
L’un des lecteurs a priori les plus en sympathie avec Anatole France, Jean Jaurès, n’a pas dissimulé aux lecteurs de la Revue de l’enseignement primaire, son désaccord avec cette vision désenchantée du monde. Il s’inquiétait de voir le romancier, quoique gagné, en apparence ou en surface, aux idéaux du socialisme, pencher en fait vers une sombre vision des « temps futurs », celle de « l’histoire sans fin ». Jaurès, on le comprend, ne voulait rien céder à « la désolante pensée d’un “retour éternel” qui ramènerait en cercle, indéfiniment, les mêmes tentatives, les mêmes déceptions et la monotonie insipide des recommencements ».
Le chapitre final des Dieux ont soif ne commente pas plus le destin de Gamelin (guillotiné) que celui des victimes de son fanatisme. Il montre Élodie jetant au feu la bague qu’Évariste lui avait offerte, où la figure de Marat est déjà effacée.
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