On ne compte plus les ouvrages qui paraissent sur le phénomène woke qui, notons-le en passant, sont très souvent écrits par… des femmes. Si les « écrits » wokes ou intersectionnels paraissent principalement dans des revues dites à comité de lecture où règnent désormais la cooptation et l’entre-soi, les écrits hostiles au wokisme sont publiés plutôt par de grandes maisons d’édition. C’est le cas de l’ouvrage de Sylvie Pérez (En finir avec le wokisme. Chronique de la contre-offensive anglo-saxonne, Paris, Cerf, 2023) dont les sociologues Emmanuel et Frédéric Pierru font pour ReSPUBLICA la recension. Cet ouvrage se distingue par sa densité informative (il suffit de lire l’index des noms propres pour s’en convaincre). Son autre qualité est sa très bonne connaissance du phénomène woke aux États-Unis et en Grande-Bretagne où l’auteure vit depuis 2011. Elle a donc été aux avant-postes du débarquement woke en Europe depuis les États-Unis.
Dans leur recension, Emmanuel et Frédéric Pierru proposent de reconceptualiser le wokisme en « hooliganisme nihiliste », se basant sur les travaux de Randall Collins – sociologue qui s’est beaucoup intéressé aux situations sociales de microviolences – et de Luc Boltanski. Hooliganisme : le wokisme est intrinsèquement un mouvement social violent et liberticide ; nihiliste : sa critique ne porte aucun projet d’émancipation collective pour une plus grande égalité sociale. La croissance de plus en plus inégalitaire est acceptable si elle est « inclusive ». Cela a été dit et répété, le wokisme ne construit rien, il ne propose rien, il « déconstruit » et se contente de mener des chasses à courre contre des individus qui auraient le malheur de ne pas communier dans le catéchisme intersectionnel, le tout baignant dans une sauce obscurantiste de relativisme antirationaliste.
Tout n’est plus que perspectives individuelles et de « self-branding » (le branding est un ensemble d’actions marketing visant à constituer une image de marque, immédiatement identifiable par la cible. Brand pourrait se traduire par « étiqueter », marquer », « stigmatiser »). En cela, l’architecture même des réseaux sociaux, avec leur narcissisme individualiste, est ce qui a permis l’avènement de ce mouvement social rhizomatique qui a pour obsession la chasse à l’homme blanc hétéro. Plus profondément encore, et si l’on se fie aux analyses récentes d’Emmanuel Todd, le nihilisme wokiste, qui ne touche que les « élites » (86 % de la population française ignorent le phénomène), pourrait être le symptôme de leur anomie dans un contexte de « religion 0 » (Todd).
Frédéric Pierru