Feuilleton Laïcité (4) : Laïcisation et sécularisation
En préambule, il nous faut définir ces deux concepts
La laïcisation de la vie publique : l’État met en pratique les principes de la laïcité, en particulier dans les services publics.
La sécularisation de la société correspond au déclin de la pratique religieuse et de l’influence de l’église dans la vie quotidienne.
La laïcisation de la vie publique : prenons quelques exemples dans l’histoire.
La Constitution Civile du Clergé du 12 juillet 1790 et la nationalisation des biens de l’Eglise (sous-entendu : catholique) : l’Etat prend en charge, les personnels et les biens qui dépendaient uniquement de l’Eglise. Cette première laïcisation introduit une fracture dans la société de l’époque, particulièrement violente avec la guerre civile en Vendée, mais aussi dans d’autres régions. Le Concordat de 1801 se charge d’apporter un premier règlement à ce conflit, en redonnant une place sociale à l’Eglise, mais aussi par la création du mariage civil et de l’état civil.
C’est la « première phase de laïcisation » (selon Jean BAUBEROT, dans « histoire de la laïcité en France ») qui se caractérise par une mise sous tutelle de l’Eglise par le pouvoir d’Etat. La religion est alors concurrencée par d’autres institutions (hôpitaux, école, mairies,…) qui s’émancipent de son influence. Cependant l’Eglise catholique reste une institution légitime de socialisation et assure un service public reconnu.
Ensuite, en « deuxième phase de laïcisation », la République institue une égalité formelle de cultes, séparés de l’Etat. Deux dates sont à retenir : l’année 1882, année de la première loi Jules Ferry sur l’instruction publique obligatoire. Puis l’année 1905, année de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, qui abolit le Concordat de 1801 et qui met fin au système des « cultes reconnus ». La loi de 1905 dispose ainsi que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes » et « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».
Cette deuxième phase de laïcisation se caractérise par trois éléments :
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La religion peut fonctionner en interne comme institution, mais socialement, elle prend une forme analogue aux autres associations.
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La religion n’a plus de légitimité sociale, mais ses préceptes moraux ne sont ni imposés ni combattus par la puissance publique.
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La liberté de conscience et de culte fait partie des libertés publiques sans distinction entre les cultes reconnus et d’autres non reconnus.
Cette laïcisation imposée par l’Etat est-elle une forme d’intolérance ?
La laïcité « à la française » peut sembler synonyme d’intolérance religieuse et cache pour certains un refus français du pluralisme religieux. Certains épisodes de notre histoire pourraient confirmer ce sentiment, dans ce que les historiens appellent le « combat des deux France »
Le premier épisode réside dans la Terreur, durant laquelle Maximilien Robespierre (1758-1794) institue une religion civique et combat l’athéisme. Certains catholiques, alors pourchassés pour leurs convictions, trouvent refuge à l’étranger.
Le second épisode est lié aux lois de 1901 et de 1904 rédigées, en partie, pour réglementer les congrégations. La loi de 1901 sur les associations prévoit que la création de toute nouvelle congrégation nécessite une loi avec débat parlementaire et que l’ouverture d’un nouvel établissement d’une congrégation reconnue nécessite un décret du gouvernement. La loi de 1904 prive tout citoyen français membre d’une congrégation de la possibilité d’enseigner et elle fait donc des religieux des citoyens privés d’une partie de leurs droits. Trente mille congréganistes quittent alors la France.
La laïcité française, héritière de la Révolution de 1789, celle des droits de l’homme, apparaît alors à certains, comme l’adversaire de la religion catholique, opposition qui se retrouve dans ce que l’on qualifie de « combat des deux Frances » durant le XIXème siècle.
Cette opposition entretient l’impression que la laïcité est une alternative à la religion catholique et que l’on revient à la « religion civile », décrite par Jean Jacques Rousseau dans le livre IV du chapitre 8 du Contrat social.
Cette laïcité de combat contre la religion trouve alors à s’exprimer essentiellement dans le système éducatif, ou elle dénonce le financement public des écoles privées, mais aussi dans l’intrusion de symboles religieux dans l’espace public.
Le conflit des « deux France »
La version catholique de ce combat est souvent occultée. Au début du XXème siècle l’Eglise dispose de moyens efficaces de communication pour combattre la laïcité : des maisons d’édition (Mame à Tours), une presse (La Croix, organe des Assomptionnistes), les bulletins paroissiaux et les sermons en chaire, …
« Que chacun redouble d’ardeur et de générosité à soutenir ceux qui, à l’avant-garde, combattent pour la France et pour Dieu » (bulletin paroissial Paris 1905, cité par Jean BAUBEROT).
L’église catholique, après le choc de la séparation avec les protestants a régulièrement tenté de reconquérir son hégémonie : la contre-réforme, les guerres de religion, la révocation de l’Édit de Nantes, la reconquête entre 1815 et 1905.
Ce n’est seulement qu’après 1918 que les catholiques se rallieront à la République. « La fille ainée de l’église » prend une certaine autonomie avec le Vatican.
Pour Jean BAUBEROT : « De fait, la laïcité française est fondée sur la séparation de la croyance et du pouvoir, avant de l’être sur la séparation de l’État et des cultes. »
Ce conflit des deux France n’est pas une simple approche historique, il reste prégnant, dans le non- dit, lors des débats actuels sur la laïcité.
La sociologie française reste marquée par ce clivage : catholiques contre laïques. L’école est toujours un terrain de combat entre les deux parties. Il semble atténué aujourd’hui, mais le débat ressort régulièrement (affaires du foulard, cantines scolaires, …)
Les défenseurs de notre laïcité doivent comprendre et intégrer cette problématique pour argumenter et combattre les idées fausses qui nuisent à ce concept fondamental de la République.
La sécularisation de la société
Les français ont beaucoup changé en 70 ans.
Depuis 1950 notre société encore rurale et catholique s’est urbanisée et diversifié par les apports extérieurs (en particulier venant d’Afrique, avec une autre religion : l’islam).
Elle s’est surtout sécularisée : la perte de la pratique religieuse et de l’influence de l’église dans la vie quotidienne est un constat repéré par les sociologues.
Ce phénomène s’est accéléré après 1968. Marcel GAUCHET explique ce phénomène dans « Le désenchantement du Monde* » en constatant le rejet des croyances, des idéologies, des doctrines,…
*(Ouvrage de Marcel GAUCHET, paru en 1985, existe en poche folio)
Même les catholiques, malgré les réformes du concile « Vatican II », ne suivent plus les commandements de l’église et contestent le pape.
La laïcité a, elle-même, perdu beaucoup de sa force dans cette période. Elle est alors perçue comme une « religion civile » et rejetée comme les autres idéologies
Cette sécularisation est tout d’abord perçue comme une libération de l’individu, enfin maître de ses idées et de ses croyances. Mais le « retour du religieux » (qui reste à analyser) montre un autre aspect : un manque, une recherche de quelque chose d’autre que le matérialisme consumériste de la société actuelle. La laïcité doit aussi intégrer ce besoin de croyance et de spiritualité.
« Une laïcité actualisée passe par un renouvellement symbolique de la vie en collectivité. La laïcité se cherche un cœur (émotion, fierté, histoire) et des modèles comme valeurs d’exemple (les grands hommes de la République sont l’équivalent des saints dans l’église catholique, ce sont des symboles pédagogiques) » (Régis DEBRAY).
JG
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