L’âge du capitalisme de surveillance de Shoshana Zuboff éditions Zulma
isbn : 978-2-84304-926-2
Etude très approfondie, documentée, argumentée sur cette évolution très inquiétante du capitalisme de surveillance. Google, Facebook, l’auteure se concentre principalement sur ces 2 sociétés qui ont progressivement tissé une toile ou plutôt nous enferment dans une ruche. Au début leur modèle économique étant peu rentable, un moteur de recherche performant, un réseau de communication entre étudiants, il a fallu répondre aux demandes des investisseurs et dégager des profits. Il ne faut pas aussi oublier les effets du 11 septembre 2001 qui leur ont permis de collecter toutes les données que le renseignement n’avait pas pu exploiter. Ce “surplus comportemental” que nous créons à chaque fois que nous utilisons notre ordinateur lors d’une recherche, puis notre téléphone portable au travers de toutes nos applications à qui nous donnons (souvent à notre insu, car les licences d’utilisations sont rédigées pour que nous ne les lisions pas, mais que nous les acceptions pour l’obtenir) l’autorisation de lire, collecter notre carnet d’adresse, nos contacts, nos photos, notre géolocalisation, mais aussi nos données de santés, nos parcours, horaires, distances de nos sorties jogging, courses etc…. Cette masse d’information combinée avec la puissante capacité d’analyse a pu produire des prédictions concernant notre comportement de consommateur, d’utilisateur, voire d’électeur pour certain !!! Il est ainsi créé des profils, avec des besoin de consommation, des incitations à acheter, commander, consommer. Ces produits de prédiction sont devenus la base d’un processus de vente prodigieusement lucratif, c’est la naissance d’un nouveau marché, celui de nos comportements futurs !
Quelques exemples édifiants “Sleep number”
Cette société propose des lits “connectés” qui enregistrent chaque nuit 13 milliards de données. Le matin au réveil elle vous indique un score pour votre nuit, elle mesure battement cardiaque, respiration, température, qualité du sommeil. Vous pouvez voir si vous êtes dans la moyenne des utilisateurs de votre état !!!!
Colin Angle PDG de Roomba a révélé à Reuters en 2017 que ses aspirateurs collectaient les plans de votre maison pour les revendre à Google, Amazon, ou Apple. Tout cela sans protection juridique. Les marchés ont salué cette innovation !
Un autre exemple édifiant de cette volonté de capter, analyser un maximum de données personnelles, Genesis Toys et sa poupée Cayla. Cette dernière comprend et transmet tout ce que dit l’enfant, l’application a aussi accès à toutes les fonctions du téléphone, contacts, photos et enregistre via le Bluetooth toutes les conversations de l’enfant. Une des poupées visée par une plainte incite systématiquement les enfants à fournir des données personnelles, y compris leur adresse. (lire cet article et les recommandations de la CNIL)
Mattel via ses légendaires « Barbie » n’est pas en reste. Elle vient de recruter comme directeur un ancien haut responsable de Google.
L’intelligence artificielle de Google s’est améliorée progressivement avec le volume de données collectées, générant sans cesse de nouveaux produits de prédiction. Cet engrenage suppose un impératif d’extraction pour obtenir cette accumulation de surplus. C’est cela qui entraîne la multiplication de ces systèmes automatisés connectés. C’est à celui qui s’emparera de toute l’expérience humaine. Google est devenu un as en la matière mais aussi dans l’art de la dissimulation en utilisant des stratégies rhétoriques pour masquer ces procédés et leurs implications. Bien sûr Google n’est pas le seul. Le livre raconte comment à l’intérieur de l’entreprise tout est verrouillé, cloisonné pour éviter les fuites et les révélations, les employés sont eux aussi bien « encadrés ».
De nombreuses questions se posent alors et l’auteure va à l’essentiel au travers des 3 principales : Qui sait ? Qui décide ? Qui décide de qui décide ? Simplement elle montre comment ces entreprises devenues incontournables se jouent des législations qui arrivent difficilement à anticiper ou même à réagir face à ces situations qui dessinent un monde qui peut devenir très inquiétant. L’Europe agit, certes à son échelle et faiblement mais c’est à noter de façon très positive, c’est d’abord la RGPD (réglementation Générale sur la Protection des Données) mise en place en mai 2018. Cela inverse le paradigme, c’est l’utilisateur qui donne l’autorisation de prélèvement de données. Nous voyons bien quotidiennement comment nous nous comportons face à ces demandes. Il reste encore à faire. C’est en ce moment que sont présentés le Digital Services Act et le Digital Market Act, pour mieux encadrer les pratiques des géants du numérique. Une lutte intense oppose Thierry Breton et Google, (lire ici).
« Internet ne doit pas demeurer un “Far West” » selon le commissaire européen.
Sur ces questions nous sommes très en retard, une majorité d’entre nous et c’est compréhensible puisque tout est fait dans la dissimulation, une majorité d’entre nous est sous informée. La jeune génération est aussi très fragile car pour elle ces objets sont devenus un prolongement de leur être, les leur retire équivaut à une quasi-amputation ! Il nous faut reprendre la main bien visible, celle-ci sur ces questions. La lecture de cet ouvrage nous incite à une meilleure utilisation du numérique.
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