Une soirée avec Philippe MEIRIEU

 Une soirée avec Philippe MEIRIEU

Le vendredi 22 septembre 2017, à ANNECY, salle Pierre LAMY

Un petit compte-rendu de cette soirée par Jacques GAUCHER. Une simple trace,  partielle  et certainement incomplète, à partir de quelques notes prises au vol.
Ce vendredi, la salle Pierre LAMY est  bien remplie, plus de 150 personnes, dans une écoute attentive, presque scolaire !

Un orateur que certains connaissent déjà, mais que beaucoup découvrent. Philippe MEIRIEU est simple, naturel, éloquent et charmeur dans son propos.
En réel praticien de la pédagogie Il sait capter notre attention, alternant avec virtuosité des concepts abstraits (société holistique, métaphysiquement démocrates, …) et des exemples très concrets et très parlant (l’école vue par son père, le comportement actuel des parents (passagers d’un avion), la centrifugeuse pour les exclus,   l’enfant bolide, …)

En vrac, selon mes notes et ma (faible) capacité d’attention… (PM pour Philippe MEIRIEU)
Nous attendions (peut-être) un diagnostic de l’école d’aujourd’hui (crise, déclin … comme dans les médias…)
Bien au contraire ! PM replace l’enfant dans le contexte de la société actuelle, marquée par la montée de l’individualisme.
Avec pour constat : une perte de confiance dans toutes les institutions collectives qui ont structuré notre société, et particulièrement cette école de notre enfance. L’instituteur était « incontestable » et les parents faisaient confiance à « l’école de la République » au-delà des clivages idéologiques.

Aujourd’hui les parents remettent en cause le travail du pédagogue. Ils veulent négocier, pour leur enfant, si particulier, si spécifique. La règle générale doit céder face à l’histoire personnelle et forcément exceptionnelle de leur petit génie. L’exemple absurde de passagers d’un avion qui viendraient donner des conseils au pilote, pendant le vol, nous éclaire sur cette perte de confiance des parents sur l’école.

La multiplication des écoles privées hors contrats, avec des pédagogies différentes, jusqu’à la déscolarisation et l’instruction dans la famille sont des phénomènes qui traduisent cette perte de confiance dans l’institution scolaire.

PM précise alors le changement de statut de l’enfant dans la famille. Cette révolution que fût la pilule contraceptive a transformé la famille et la place de l’enfant. Avant, une naissance était subie et acceptée, comme une fatalité. Le statut de l’enfant comme individu est d’ailleurs relativement récent (XVIIème siècle). Aujourd’hui, dans notre monde occidental, l’enfant est essentiellement voulu et désiré. De ce fait il doit faire le bonheur des parents. L’amour parents- enfant est une notion récente qui bouleverse toute l’éducation. Le chantage affectif individualisé a remplacé l’élevage de nombreux enfants. Il cite Paul YONNET (dans la logique de l’enfant désiré qui façonne l’individu moderne et organise sa psychologie. Il s’y produit une “hypertrophie du moi” et on éduque les enfants pour qu’ils soient capables de produire eux-mêmes leur propre norme)
PM constate aussi l’externalisation de certaines difficultés rencontrées par les enseignants. Quand on ne sait pas répondre aux difficultés de l’enfant, on médicalise, on confie à d’autres spécialistes (Les dis… lexiques, orthographiques…et pourquoi pas géographiques !!)
Le système fonctionne comme une centrifugeuse qui éjecte tous ceux qui ne sont pas dans la norme, pour, au mieux, les confier à d’autres spécialistes. L’enseignant n’est pas compétant pour répondre à toutes ces difficultés. Il devrait pouvoir travailler en équipe avec ces spécialistes, mais dans le cadre de l’école. De plus que penser de ces officines qui proposent des compléments couteux pour pallier aux insuffisances de l’école ? L’institution scolaire est confrontée à la concurrence, dans un marché de la formation et de l’éducation, surtout pour ceux qui peuvent payer.
Il évoque Bernard STIEGLER (voir en fin d’article) et le capitalisme pulsionnel. Cette pression consumériste qui dit à l’enfant (et à l’adulte) :  ton caprice est légitime. Mais ta pulsion une fois satisfaite empêche le désir et la pensée. L’éducation doit chercher à faire sortir l’enfant de « l’infantile » (celui qui veut obtenir tout de suite satisfaction) afin de lui permettre d’accéder au désir (qui retarde la pulsion) et à la construction d’une pensée.
Il nous présente une expérience de Janusz  KORCZAK (pédagogue polonais, voir en fin d’article) pour canaliser la violence des enfants. Après avoir tenté de les empêcher de se battre entre eux, il leur propose une solution : ils ont droit de se battre à condition d’en faire la demande par écrit, 48h à l’avance. Ces contraintes de l’écrit et du report de l’acte physique canalisent la violence pulsionnelle et calme largement les enfants concernés
P M évoque aussi la radicalisation de certains jeunes et les tentatives de déradicalisation. Ces jeunes, en recherche de valeurs, d’engagement peuvent tomber facilement dans de théorie du complot, ce  qui répond à une logique du « tout, tout de suite » et les empêche de penser.
PM nous parle de ces « enfants bolides » (du grec « boilos » javelot, arme) qui, dans la classe, se lèvent, se mettent à crier ou s’ils ne sont pas contents, s’en vont. (voir article PM la mutation des métiers de l’éducation et de la formation, citant Francis IMBERT)

Apprendre à l’enfant à surseoir à sa pulsion d’immédiateté est bien le défi majeur de l’éducation et de la pédagogie
PM nous lance sur quelques pistes de réflexion, à partir d’exemples
1ère piste : l’attention
La baisse générale des capacités d’attention est un fait incontestable, reconnu. En collège environ 47% des élèves utilisent leur téléphone portable, à l’insu de l’enseignant.
Les jeunes sont en état constant de « sur-attention », recevants  sans arrêt de nouvelles sollicitations, comme dans les jeux vidéo, avec une demande de réaction rapide et fugace à l’impact sonore ou visuel reçu.
Cette sollicitation-réaction est à l’opposé de la réflexion, de la pensée.
La durée de concentration d’un élève sur un sujet donné est de plus en plus courte, voire très courte.
Mais l’enseignant se fatigue inutilement à demander de l’attention de l’écoute, par des injonction (chut ! …, écoutez-moi ! … Taisez-vous !!). Cette attention perdue est-elle le fait d’une volonté individuelle ou d’un dispositif collectif ? L’enseignant doit alors inventer de nouveaux rituels collectifs pour mettre le groupe en état d’écoute active et de réception,

2ème piste : la confrontation avec l’objet
Dans une formation trop abstraite, il manque à l’enfant une confrontation avec la résistance de l’objet, de la matière. PM cite alors Matew CRAWFORD et son « éloge du carburateur ».  Cet universitaire américain travaille manuellement dans la réparation mécanique. Travailler sur des objets, avec de la matière et des outils oblige à renouer avec la durée, la dureté, l’obstacle et brise la pensée magique du sentiment de toute puissance. Il doit alors faire avec, s’adapter pour arriver au bout de la tâche. Il redevient alors un sujet qui prend place dans le monde sans être le centre du monde.

3ème piste : le rêve collectif
Le travail collectif est présent dans les discours et les injonctions managériales. Or ce collectif, ce vivre ensemble n’est pas évident. L’humain n’est pas qu’individu, il a besoin de collectif qui permet de s’identifier, de se rassurer et finalement d’être libre dans le groupe. Mais pour cela le groupe identitaire ne doit être ni un clan, ni un ghetto.
Il cite Célestin FREINET et ses travaux pédagogiques basés, entre autres, sur le fonctionnement en coopérative.
4ème piste : le travail et l’œuvre
Hannah ARENDT dans « La condition de l’homme moderne », distingue le travail et l’œuvre. Le travail est une action qui peut être fait par n’importe qui, qui est interchangeable. L’œuvre est le résultat d’un engagement personnel qui ne peut pas être mené par un autre. C’est le cas de toute production de création, artistique ou autre, intimement liée à son créateur
Autres pistes
Pour les jeunes, qu’est-ce que le plaisir ? souvent la recherche de la pulsion consommatrice. Ce plaisir s’épuise vite dans une insatisfaction permanente.
Le vrai plaisir c’est celui de partager l’inépuisable : la culture, la solidarité, les échanges…
Plaisir, de la compréhension, du savoir, de l’invention, de la création, du partage, de la transmission…. Tout cela devrait nous mener vers la citoyenneté.
PM revient à Hannah ARENDT, dans « La crise de la culture », pour son approche de la différence entre l’enfant et l’adulte.
On éduque l’enfant, on l’élève pour qu’il passe de l’état infantile à l’état adulte. Cette éducation est un continuum lent, long, complexe. On n’éduque pas un adulte, on le forme.
Il faut être ferme sur la frontière entre enfant et adulte. C’est l’autonomie financière et professionnelle qui marque essentiellement cette frontière.
PM nous pose la question : faut-il, au préalable être motivé pour travailler ? c’est le problème du commencement et la pédagogie de l’hameçon. Ou alors, c’est en travaillant que vient la motivation, si  le travail demandé à un sens pour celui qui le fait.,
FREINET a beaucoup apporté sur la pédagogie de la motivation et de l’intérêt par le travail.
« Entre travail et intérêt, l’un ne précède pas l’autre dans une sorte de chronologie immuable : nous vivons au quotidien dans une dialectique beaucoup plus fine et complexe où certains intérêts suscitent une mise au travail qui, elle-même, débouche sur d’autres intérêts en ouvrant d’autres perspectives de travail, et ainsi de suite. Et, si certains travaux imposés peuvent susciter l’intérêt et l’investissement de l’élève, c’est à condition que le maître sache faire vivre en classe « l’intérêt du travail ». C’est cette série de passages, de « tuilages », qui est au cœur de l’entreprise pédagogique au jour le jour. Rien de glorieux ni de miraculeux dans celle-ci. Mais un devoir où « le moindre geste » compte : le devoir d’éduquer. »

Philippe MEIRIEU nous donne envie d’en savoir plus en citant différents auteurs :

·        Marcel GAUCHET (La religion dans la démocratie),
·        Paul YONNET (Le recul de la mort ; l’avènement de l’individu contemporain)
·        Bernard STIEGLER (Dans la disruption, comment ne pas devenir fou ?)
·        Janusz KORCSZAK (voir : Pour que vivent les enfants de PH. Meirieu),
·        Marcel MAUSS (essai sur le don, dans son évocation des chevaliers de la table ronde) ;
·        Matthew B CRAWFORD (Eloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail) ;
·        Célestin FREINET
·        Hannah ARENDT (la condition de l’homme moderne ; la crise de la culture)

Voir aussi sur notre site l’article de Philippe MEIRIEU : « La mutation des métiers de l’éducation et de la formation. » et une présentation de son dernier ouvrage : « Eduquer après les attentats »

 

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