Réforme impopulaire des rythmes scolaires

La réforme des rythmes scolaires :

examen d’une impopularité

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Laurent Frajerman  Chercheur spécialiste de l’engagement enseignant, Centre d’histoire sociale du XXème siècle, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Group of happy little school kids in school
Jean‑Michel Blanquer a gagné le surnom de « ministre Ctrl-Z » en s’attaquant aux réformes du précédent quinquennat, avec une facilité qui ne manque pas de questionner. Ainsi, sur les rythmes scolaires, l’objectif initial ayant été globalement partagé (étaler les moments d’apprentissage pour que les enfants assimilent mieux, développer les activités périscolaires), l’échec actuel peut difficilement être imputé au contexte ou au seul Vincent Peillon. S’il a commis des erreurs, il reste l’un des ministres de l’Éducation nationale les mieux informés et préparés pour sa mission. De même, la pression des personnels, liée à la dégradation des conditions de travail, ne suffit pas à expliquer l’impopularité croissante de la réforme. Tentons une explication structurelle : une faille dans la méthode employée pour instaurer le projet sous-jacent à la réforme.

Le rejet des arguments d’autorité

Le discours des promoteurs de la réforme peut souvent se résumer en : la science a parlé, lisez le rapport de 2010 de l’académie de médecine, regardez le consensus régnant parmi les chronobiologistes. Or, il a perdu en efficacité.
D’abord, entre la recherche scientifique, forcément complexe, et son application sur un sujet sensible, plusieurs médiations sont nécessaires. Les experts traduisent (et simplifient) les acquis scientifiques pour les adapter aux besoins des politiques publiques. Les acteurs de terrain peuvent produire une expertise de qualité, basée sur leur expérience concrète. Le politique trouve une solution concrète, et arbitre entre les différents intérêts. Aucune de ces étapes n’est neutre, ou automatique. D’autant que les recherches sont spécialisées, alors que les questions éducatives revêtent un fort aspect systémique.
Ensuite, l’opinion sait que les chercheurs ne sont pas infaillibles. Pour Claire Leconte : la « chronobiologie est une science sérieuse, on ne peut la détourner pour la mettre au service de choix politiques très contestables ». Les premières évaluations nationales produites par l’institution s’avèrent peu enthousiastes (rapport de l’inspection générale). Certes, l’étude mitigée de la DEPP n’établit pas de comparaison avec la semaine de quatre jours, mais le doute s’est instillé. D’autant que le positivisme peut générer son contraire, le populisme, le refus de tout ce qui vient « d’en haut ».
Deux discours opposés s’appuient sur les mêmes principes, sans dialoguer. Alors que les partisans de la réforme s’autoproclament porte-parole de l’intérêt de l’enfant, Stéphanie, militante SNUipp, 53 ans, assure que « ce n’est certainement pas les gamins qui sont gagnants là-dedans ». (interview pour la recherche Militens).
Dans les faits, départir les intérêts de l’enfant de ceux de l’adulte reste une gageure. Ainsi les parents séparés s’opposent à la préconisation de certains chronobiologistes d’ouvrir l’école le samedi, pour voir leur enfant le week-end. Défendent-ils leur intérêt exclusif ou celui de l’enfant de maintenir des liens de qualité avec ses deux parents ?
Enfin, enseignants et parents ont « des raisons raisonnables de ne pas croire » les chercheurs, selon la formule malicieuse de François Dubet. Ils n’ont pas perçu d’effet positif sur les résultats cognitifs. Est-ce parce qu’il s’agit d’un facteur mineur de l’apprentissage ? Le résultat aurait été plus net en revenant à 27 h de cours, mais il aurait fallu négocier une compensation pour les enseignants, ou multiplier les maîtres surnuméraires (dans le cadre du « plus de maîtres que de classes »), donc créer des postes.
Les opposants à la réforme, relayés par les familles, répètent continûment que les élèves sont fatigués. Or cette idée était déjà centrale dans la critique de la réforme Darcos, en 2008, notamment par l’académie de médecine… Qui croire ? L’inspection générale relève ce ressenti généralisé, mais elle relativisait dès janvier 2000 : « Ce n’est pas parce que la fatigue se manifeste lors de tâches scolaires qu’elle est provoquée principalement par le travail scolaire. Les loisirs peuvent également être générateurs de fatigue. » La fatigue constitue un indicateur peu fiable pour évaluer la réforme, car elle est multifactorielle, liée notamment à des évolutions sociétales (la perte d’environ une heure de sommeil des enfants par jour, le rôle des écrans…).

Le parti pris des chercheurs et de l’ex Empire FEN

Dans les années 1980, l’Empire FEN (réseau constitué d’associations, syndicats et mutuelles œuvrant dans le domaine éducatif, proche du PS) élabore le référentiel actuel à l’occasion de colloques dirigés par Hubert Montagner. David Pioli estime que la « référence sous-jacente est celle d’une pédagogie différenciée adaptant l’école aux rythmes biologiques et d’apprentissage des enfants, prenant appui sur les expériences enfantines, et permettant le dépistage des compétences et des ressources individuelles ». S’opère un glissement conceptuel des rythmes biologiques vers les rythmes scolaires et sociaux, dénoncé aujourd’hui par les adversaires de la réforme.
Plusieurs experts qui ont promu la réforme sont des figures de l’ex empire FEN : François Testu, a présidé durant 12 ans la Jeunesse au Plein Air, grande association de loisirs pour l’enfance, Georges Fotinos a lui alterné les missions entre le ministère et la MGEN. Certaines de ces entreprises de l’économie sociale emploient de nombreux animateurs (notamment la puissante Ligue de l’Enseignement). Sans remettre en cause leur intégrité, on peut se demander si ces différents rôles interfèrent.
Dès 2006, Roger Sue soutient que « l’une des vertus propédeutiques des rythmes scolaires [est] de favoriser les évolutions en douceur de la forme scolaire. Notamment en desserrant la contrainte et la forme temporelle propre à l’école, mais aussi en relativisant le temps scolaire par rapport à d’autres temps considérés comme aussi éducatifs ». Les élus locaux se battent pour que la réflexion dépasse le cadre scolaire, la réforme parle d’ailleurs de « rythmes éducatifs ». Ce projet, loin d’être neutre, s’inscrit donc dans le débat hautement polémique sur l’école.

Un bug de la décentralisation

Cette réforme nourrie par des constats scientifiques nationaux a été appliquée différemment selon les territoires. Autre paradoxe, l’ampleur du rejet dénote une certaine unanimité, quelle que soit la version de la réforme mise en œuvre concrètement. Si les défauts de l’étatisme sont bien documentés, il est possible que cette mission ait dépassé les capacités des communes, les élus locaux n’étant pas forcément outillés. L’installation chaotique de la réforme, qui a nourri un véritable feuilleton, le casse-tête de nombreux emplois du temps, ont marqué de nombreux parents et enseignants.
La décentralisation est censée permettre d’adapter finement le dispositif aux réalités du terrain, sur la base d’un diagnostic partagé. Darcos laissait le dernier mot aux conseils d’école, mais la réforme a transféré ce pouvoir aux maires, qui l’ont rarement exercé dans la concertation prescrite par le réseau des Villes éducatrices. Ainsi, Maxime, 40 ans, directeur d’école, ex-syndiqué SNUipp, plutôt favorable au changement des rythmes, estime que la réforme est mal appliquée, sans consultation : « La mairie a fait dans son coin, des petits aménagements ». Les enseignants ont du mal à sortir des murs de l’école. De moins en moins présents dans les équipes municipales (où ils occupaient les fonctions liées à l’école), ils sont écartés des projets éducatifs territoriaux (PEdT) et ne fournissent généralement pas d’efforts pour les intégrer.
On a exagéré l’efficacité de l’échelon communal dans la prise en compte des particularités des populations. Comment contenter à la fois les parents qui ont besoin d’un mode de garde de leurs enfants et ceux qui peuvent s’en occuper le mercredi ? D’autant que les réalités sont contrastées. À l’échelle des grandes villes, les défauts de la centralisation ressurgissent : le maire de Paris décide pour ses 662 écoles. À l’inverse, les communes rurales, bien placées pour consulter leurs administrés, manquent de moyens pour financer les activités périscolaires. Elles figurent massivement dans les territoires revenus à la semaine de quatre jours de cours dès cette année.
Beaucoup de communes optent pour l’organisation scolaire la plus compatible avec leurs impératifs budgétaires. Cela correspond à une tendance de fond. La réforme a également accentué la concentration de l’action éducative communale autour de l’école, en se calquant peu à peu sur son fonctionnement, pourtant décrié.

La difficulté à articuler scolaire et périscolaire

Cette crise a mis en lumière la séparation des mondes de l’école primaire et de l’éducation populaire, indissociables jusque dans les années 1950-1960. Les instituteurs qui s’occupaient des loisirs de leurs élèves ont été remplacés par des animateurs, qui s’installent aussi dans les écoles. La division du travail y suscite incompréhensions et préjugés. Si la réforme a renforcé la place des animateurs, on reste loin d’une coéducation avec les enseignants, d’autant que la professionnalité des dizaines de milliers d’animateurs recrutés est inachevée (manque de formation, dispersion sur plusieurs sites, précarité…).
Jacques Julliard exprime une opinion répandue lorsqu’il écrit que le problème ne se situe pas « dans l’insuffisance des élèves en matière de tir à l’arc, de macramé et de théâtre de marionnettes », mais dans leur « régression constante […] en matière de lecture, d’orthographe, de maniement du français et du calcul ».
Les conflits catégoriels ont ajouté au désordre régnant lors de l’installation de la réforme, les animateurs menant leurs propres grèves, sur des mots d’ordre distincts. Le partage du temps à l’école soulève de nouveaux défis : la réflexion sur les activités doit être globale, toutefois l’articulation pèche encore. Lorsque des activités sportives sont pratiquées durant la pause méridienne, les enfants arrivent excités en classe. Le SNUipp FSU affirme que des activités périscolaires participent « de la confusion scolaire/périscolaire » et créent « du temps de classe supplémentaire, puisque les activités se confondent avec le temps scolaire tant par leurs contenus, par leur forme et les lieux ». Entre garderie et pseudo école, la voie est étroite.
Si M Blanquer donne satisfaction aux adversaires de la réforme, sa logique reste en place, puisque le retour à la semaine de quatre jours d’école est une option offerte au maire, avec désormais l’accord des conseils d’école.
 

 

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