Macron les labyrinthes du politique

 Les labyrinthes du politique (extraits) par Emmanuel Macron

LE MONDE IDEES | 27.05.2017 à 08h25

Extraits d’un article paru dans la revue ESPRIT, en Mars/avril 2011 / Avancées et reculs démocratiques

Depuis plusieurs mois, le décor se met en place pour l’élection présidentielle de 2012. (…) Tout dans la vie politique s’écrase et se résume à l’élection présidentielle et aux élections législatives qui, depuis la réforme constitutionnelle de 2001 et la mise en œuvre pour la première fois en 2002, s’inscrivent dans son sillage. (…) Rien n’est fait pour que, dans une démocratie mûre et une société aux problématiques de plus en plus complexes, les débats puissent prendre place et se décliner selon une temporalité et des modalités adaptées. Le temps politique vit dans la préparation de ce spasme présidentiel autour duquel tout se contracte et lors duquel tous les problèmes doivent trouver une réponse. Mais la question, dès lors, se pose : qu’attend-on encore du politique et que peut-on en attendre ?

Quelles sont ses contraintes, recomposées par notre présent ? En quoi celles-ci transforment-elles le rôle du politique et, ce faisant sans doute, ses fins ?

Du temps court au temps long, quelle temporalité du politique ?

Depuis une vingtaine d’années s’est progressivement créé un hiatus entre l’émergence des problèmes de long terme, complexes, structurels, parfois mondiaux, et des urgences économiques, sociales, démocratiques dont le non-traitement immédiat est perçu comme insupportable par les opinions publiques.

Les « grandes » questions politiques sont aujourd’hui le climat, la dette publique, la régulation financière internationale, les inégalités mondiales, le vieillissement des populations qui met en cause la pérennité des systèmes sociaux pour n’en citer que quelques-unes. (…) Lorsque les problèmes relèvent du temps long, le pouvoir politique adopte un traitement symbolique (des grands-messes, une inscription à l’agenda, etc.) sans procéder aux réformes structurelles requises, ni s’exposer au coût politique qui les accompagne. Il y a, tout au moins en France, une forme de préférence pour le court terme. La discipline qu’implique le traitement des problèmes longs exige une pédagogie permettant de construire un consensus politique et social et une constance dans l’application.

(…) A l’autre bout du spectre, les urgences sont nombreuses et néanmoins légitimes : coût de la vie, chômage, sécurité, crise du logement, etc. (…) Ces sujets de court terme « pressent » le pouvoir politique : ils sont l’urgence politique relayée et illustrée par les médias. L’action politique se déploie ainsi, pour une grande part, en réaction à ces urgences : réformes de la justice, déploiements policiers, mesures de baisse de la TVA, etc. La multiplication des lois que nous vivons, dénoncée à longueur de rapports du Conseil d’Etat comme d’autres instances, est la traduction de ce mécanisme de réponse systématique et immédiate à l’urgence. La loi est la preuve que le politique s’occupe hic et nunc du problème et réagit dans l’immédiat.

« L’action politique est ainsi écartelée entre ces deux temporalités : le temps long qui la condamne à la procrastination ou l’incantation et le temps court qui appelle l’urgence imparfaite et insuffisante »

(…) La réponse à l’urgence implique donc une forme d’action politico-médiatique dont l’efficacité est réduite. Les lois prises sont ainsi trop souvent inappliquées par défaut de décret d’application, leur efficacité quasi jamais mesurée, et elles créent une instabilité et une complexité juridiques néfastes pour le citoyen. Cela est d’autant plus vrai que les urgences relèvent souvent de problèmes structurels complexes à traiter et qui nécessiteraient des actions de fond.

(…) L’action politique est ainsi écartelée entre ces deux temporalités : le temps long qui la condamne à la procrastination ou l’incantation et le temps court qui appelle l’urgence imparfaite et insuffisante. Parce qu’on attend de l’Etat qu’il gère l’immédiat, face auquel on ne peut presque rien, ou le très long, lui qui seul est immortel.

L’aporie de l’action politique contemporaine est précisément liée au fait que, écartelé entre ces temporalités, le politique ne semble plus parvenir à construire une action propre et durable.

Dans une complexité croissante, quel statut pour l’action politique ?

Le politique doit aujourd’hui composer avec des problématiques de plus en plus complexes, aux causalités multiples, et des écheveaux de responsabilités du local au mondial. (…) Dès lors, l’action politique est une forme d’action hypercontrainte, multitude de petites actions, micro-coordinations entre acteurs divers. Car la décentralisation, le démembrement de l’Etat central qui a multiplié les autorités administratives indépendantes, la place normative croissante des communautés européennes entre autres ont progressivement conduit à l’éclatement de la responsabilité et de l’action politique. Presque toutes les politiques publiques sont aujourd’hui assumées et assurées par de multiples niveaux de responsabilité et d’acteurs. (…) C’est ce qui a pu conduire à une forme de divorce, ou tout au moins de hiatus, entre le discours et l’action politique.

En effet le politique construit, de manière croissante en Europe, un discours paradoxal : il se prononce sur tout et intervient sur tous les sujets, et dans le même temps produit la justification de ses propres limites et de son incapacité ; les contraintes de Bruxelles, les politiques existantes qui deviennent autant de données « réifiées » de la sphère politique structurent l’espace de la décision politique ou plus exactement la contraignent.

(…) Dès lors, le fantasme de l’action politique c’est l’action rapide, courte, instantanée. Celle qui fait mine de s’affranchir des contraintes et de la complexité du réel. (…) Tout se passe dans l’action politique représentée comme si le moment de l’annonce valait action même. La mise en œuvre, le suivi passent ensuite dans le domaine de l’administration (…) ; série de grands et de petits actes qui doivent composer avec le réel, les contreparties, le cours des choses. La séparation grandissante qui s’est construite entre le politique et l’administratif a renforcé la schizophrénie de l’action politique qui, en multipliant les lois et les réformes, se défie en fait de leur application, voudrait comme écraser le temps de la mise en œuvre administrative, du nécessaire ajustement au réel. (…)

Pour une recomposition de l’action politique

Le discours comme l’action politique ne peuvent plus s’inscrire dans un programme qu’on proposerait au vote et qu’on appliquerait durant les cinq années du mandat. La présidentialisation pousse à ce modus operandi qui cependant n’est plus adapté aux contraintes de temps et de complexité de l’action publique. En effet, une fois l’élection passée la réalité arrive, les changements surviennent et l’application stricte des promesses, si elle a un sens politique − faire ce qu’on a promis afin de préserver la plénitude de la parole politique de manière symbolique et glorifier la notion de mandat −, peut conduire à l’échec ou à des aberrations.

(…) Dès lors, que faire ? Comment restaurer une forme de discours et de responsabilité politique qui rétablisse la confiance dans la parole politique et l’action politique ? On ne peut ni ne doit tout attendre d’un homme (…). Loin du pouvoir charismatique et de la crispation césariste de la rencontre entre un homme et son peuple, ce sont les éléments de reconstruction de la responsabilité et de l’action politique qui pourraient être utilement rebâtis.

(…) Qui sait aujourd’hui ce que fait la région ou le département ? Comment juger de la qualité de son action, du bien-fondé de ses choix ? Cette clarification est la première condition de l’efficacité de l’action politique, et avec elle ce qui permettra aux politiques de s’engager et donc de se porter responsables de leurs actions.

L’action politique nécessite ensuite l’animation permanente du débat. Le théâtre de la décision ne peut être l’énoncé d’un programme électoral qui sera ensuite débattu − de manière accessoire et pré-écrite − pour être appliqué verticalement. L’action politique est continue et le débat participe de l’action. C’est la double vertu du parlementarisme et de la démocratie sociale que notre République a encore trop souvent tendance à négliger. (…) L’action politique contemporaine requiert une délibération permanente. Non pas le débat corseté et organisé qui prépare la prise de parole et le programme d’un candidat face au peuple mais une délibération qui permette d’infléchir la décision, de l’orienter, de l’adapter au réel.

Enfin, dans ce contexte, le politique n’est plus celui qui doit proposer seulement des mesures ou un programme. Il doit définir une vision de la société, des principes de gouvernement qui doivent ensuite être débattus, mis en œuvre par autant de décisions politiques qui sont celles de la démocratie contemporaine, de l’arbitrage et de la transparence permanents.

« Le discours politique ne peut être seulement un discours technique qui égrène des mesures. Il est une vision de la société et de sa transformation »

(…) Contrairement à ce qu’affirme une critique postmoderne facile des « grands récits », nous attendons du politique qu’il énonce de « grandes histoires ». C’est-à-dire l’articulation d’un débat sur la rupture avec le quotidien, avec les contraintes, qui pose la question double du sens de l’action et des choix collectifs en même temps que la question des préférences collectives. Il est temps, en effet, pour redonner à l’idéologie sa forme contemporaine. Le discours politique ne peut être seulement un discours technique qui égrène des mesures. Il est une vision de la société et de sa transformation.

L’action politique sur le logement, par exemple, n’est pas uniquement technique. Elle est éminemment idéologique dans la mesure où elle consiste à savoir si notre choix collectif est d’assurer à tous un logement décent, quitte à enrayer le libre fonctionnement du marché immobilier, ou bien à poser ce dernier comme un primat, les politiques du logement visant à en corriger les imperfections pour éviter les dommages collatéraux trop importants.

(…) Seule l’idéologie permet de remettre en cause l’entêtement technique, la réification d’états de fait ; seul le débat idéologique permet au politique de reposer la question des finalités, c’est-à-dire la question même de sa légitimité, et de penser son action au-delà des contraintes factuelles existantes. L’idéologie, dans un système démocratique mature, délibératif, est une condition même de restauration de l’action politique, au-delà d’un ensemble de mesures, comme étant une capacité à proposer un autre monde et, ce faisant, à s’engager dans le temps au nom des principes.

Responsabilité, délibération et idéologie constituent en effet le triptyque d’un discours et d’une action politique réinventés. C’est cela qu’on peut espérer voir advenir en 2012, avec une naïveté assumée.

L’intégralité de l’entretien est en accès libre sur le site de la revue.
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